La façon d’écrire notre Histoire a-t-elle une influence sur le regard que nous portons aujourd’hui sur elle ? Et qui sont ceux qui, depuis des siècles, l’ont gravée dans notre mémoire collective ? Le travail et la motivation des historiens / historiographes des temps anciens a bien de l’incidence sur l’identité du Maroc actuel. Saïd Ben Saïd Alaoui, philosophe de formation et historien des idées, en est convaincu. Tout en prenant soin de préciser que l’écriture de l’Histoire change en fonction des époques, l’intellectuel ancien doyen à l’Université Mohammed V de Rabat rappelle qu’avant l’ère moderne, l’objectif était surtout de rendre gloire au prince…
Qui sont les Marocains qui racontent l’Histoire du pays ? Connait-on leurs procédés d’écriture ?
Essentiellement, ils sont des alims, soit les détenteurs des sciences religieuses dont la dominante est le fiqh et, dans la plupart des cas, ils entretiennent une grande proximité avec le Makhzen. Il est important de retenir que ces alims sont presque autant des acteurs religieux que politiques. Nos historiens marocains des temps passés ne constituent pas une exception parmi les historiens en terre d’islam. Ces derniers avaient tous, à coté du Hadith et des sciences auxiliaires, le fiqh comme élément principal dans leur formation scientifique. Ils ont, quasiment tous et comme chez nous, été en relation avec l’instance politique suprême dans leurs pays respectifs. À l’époque, la pluridisciplinarité de ces savants était la norme. Les faqih de grande réputation étaient connus aussi bien par leurs écrits historiques et politiques, que par leur érudition religieuse. C’est le cas, par exemple, de grands noms comme Tabari, Ibn Khaldoun, Al Jabarti en Egypte ou encore Ibn Abi Diaf en Tunisie. Au Maroc, des noms tels que Naciri, Ibn Jaâfar Al Kettani et Ibn Zaidan suivent la même voie.
Ils n’étaient donc pas seulement spécialistes en histoire ?
Non et certains, avant d’êtres «historiens», furent cadis, muftis et autres travailleurs dans le champs religieux. Le regard qu’ils portent sur l’Homme en tant qu’être social, et la place qui lui est assignée dans l’Histoire, véhiculent une manière de voir commune, fruit des enseignements de la religion. Certes, on ne manque pas, dans quelques rares cas, de déceler, chez ces esprits brillants, une présence d’éléments cognitifs importés de l’étranger, essentiellement de la culture grecque ancienne, celle de la Perse, et plus rarement une influence indienne. Cependant, le trait dominant demeure celui de la formation reçue dans les universités traditionnelles. Le degré d’acceptation ou de refus de s’ouvrir sur des courants de pensée qui naviguent en dehors du dogme religieux, reflète fidèlement l’image du dogme prescrit dans ces écoles et universités. Ainsi, dans les périodes de décadence, ces institutions étaient hostiles au savoir non produit dans des sphères autres que religieuses.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°124