Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas un chercheur qui nous explique les ressorts de la thématique de ce dossier consacré aux Idrissides. Nous avons fait le choix de donner la parole à un descendant de la dynastie la plus marquante de notre Histoire. Mais Rachid Idrissi Kaitouni ne souhaite pas se livrer à un exercice de glorification familiale. Passionné d’histoire, le professeur de Droit, ancien secrétaire général du Parlement et directeur de l’Académie du Royaume du Maroc, nous fait partager ses connaissances avec le recul d’un intellectuel. Il nous explique se méfier des légendes autour des Idrissides, de la place de sa branche familiale chez les chorfas, mais aussi du circuit financier opaque qui concerne ses semblables. Entretien sans ambages d’un Idrisside du XXIème siècle…
Vous êtes un Idrissi Kaïtouni, expliquez-nous la place qu’occupe votre branche dans l’arbre généalogique des Idrissides.
Je pourrais vous raconter la complexité de cet arbre généalogique, la place de chacun d’entre nous, ceux qui prétendent avoir le plus de légitimité et ceux qui se réclament d’une descendance directe. Mais pour être honnête, je vais vous épargner les histoires de grands-mères. Ce n’est pas ainsi que je conçois l’héritage idrisside. D’un point de vue étymologique, les Kaïtouni sont ceux qui ont habité dans le kaïtoun ou la guitoune, soit la tente de Moulay Idriss à la fondation de Fès. « Dar El Kaitoun » existe encore aujourd’hui et incarne un repère historique et géographique vital pour les Idrissides. Je ne compte pas, dans vos colonnes, poser la question de la véracité de faits historiques qui se sont produits il y a plus de 1300 ans. L’idée est plutôt de tenter de décrire l’influence de l’avènement des Idrissides dans notre pays et les profonds changements que cela a apporté dans notre société. Quant au patronyme el Idrissi, il s’est répandu à travers les siècles au point de largement dépasser les frontières du royaume. Vous en retrouvez quasiment dans toute l’Afrique du Nord et dans le Sahel. Ils ont été disséminés par la force à l’époque de Moussa Belafia qui avait organisé une véritable chasse aux sorcières durant la première moitié du Xème siècle. Pour l’anecdote, l’un des Idrissi Kaïtouni s’est même, bien plus tard, posé comme rival des Ibn al Saoud avant que ces derniers ne créent le royaume d’Arabie Saoudite. La dynastie libyenne des Snoussi prétend aussi à une lignée idrisside, de même que le président Idriss Déby du Tchad.
Alors, quel est, pour vous, la chose la plus importante à retenir sur la dynastie Idrisside ?
Je ne la considère pas comme une dynastie mais plutôt comme une philosophie. Car pour moi, l’essentiel est de retenir que l’idrissisme porte en lui le concept de la révolution. Une révolution autant politique que religieuse. Politique puisque Moulay Driss 1er a contesté le despotisme des Abbassides avant d’être obligé de fuir la répression. Concernant l’aspect religieux, il parait évident que les premiers Idrissides n’auraient pas pu fédérer des tribus amazighes marocaines autour de l’Islam sans le rendre compatible avec une culture locale. Ils ont ainsi prôné ce que je considère comme un islam plus sociable car délesté du poids du clergé abbasside. Mais la véritable révolution dans ce domaine est essentiellement la création de l’imamat Idrisside vers l’an 790. Ainsi un second pôle contestataire de l’autorité religieuse de Baghdad s’installe durablement, au point de susciter la crainte des califes de Baghdad.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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