Comment et dans quelle mesure le Maroc a-t-il pu échapper à la domination turque ? Qu’en est-il des rapports entre les deux empires ? Comment les sultans marocains percevaient et appelaient les califes ottomans, et vice versa ? Qu’en est-il de la rivalité politique, et surtout, religieuse entre les deux pays ? Nombreuses sont les interrogations qui concernent le long et riche passé commun entre Marocains et Ottomans. Zamane apporte l’éclairage d’un spécialiste de la question.
Quelle était la position du Maroc après l’émergence du «califat» ottoman ?
L’Empire ottoman, comme on l’appelle, est apparu à la fin du XIIIème siècle comme un émirat frontalier au service de l’État seldjoukide. Ils ont commencé par repousser les attaques byzantines sur les terres musulmanes, avant d’essayer de consolider leur influence en Anatolie et dans la péninsule balkanique. En moins d’un siècle, ils ont su s’imposer en État autonome, capable de frapper à la porte des terres byzantines. En 1453, les Ottomans sont arrivés à Constantinople, et avec elle l’Empire ottoman s’est transformé en un État mondialisé. Quand on lit les textes marocains contemporains relatifs à cette période, on ne trouve aucun écho de tous les mouvements ottomans antérieurs au XVIèmesiècle. Même Ibn Khaldoun, qui a écrit un chapitre entier sur l’histoire des Turcs, n’a consacré que trois pages à l’Empire ottoman. Les Marocains ne se sont intéressés à l’Empire ottoman, et de manière relative, qu’après la campagne d’Égypte, en 1517, qui allait avoir de grandes répercussions sur les équilibres dans la région, mais aussi dans le reste du monde.
Comment le Maroc a-t-il pu «échapper» à la domination ottomane ?
Il faut remettre les pendules à l’heure en rappelant le contexte de l’époque. Au moment où l’Empire ottoman s’étendait, le Maroc souffrait de nombreuses guerres de transition politique, mais aussi de cycles de famines et d’épidémies qui rendirent l’État fragile, dans le XVIèmesiècle, réduisant considérablement son autorité et son influence. Ce n’est pas exactement la bataille des trois rois qui a permis au Maroc d’échapper à la domination ottomane, mais plutôt d’autres facteurs liés à la situation générale en Méditerranée et à l’intérieur de l’Empire ottoman, et à l’attitude des sultans marocains. Fernand Braudel met en lumière, dans «La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II», le conflit entre les empires espagnol et ottoman. Conflit dont le Maroc profita beaucoup pour maintenir son indépendance vis-à-vis des deux empires. Les sultans marocains n’ont pas prôné une politique qui se définit par rapport à Dar al-Islam, mais par sur la base de l’intérêt. C’est ce «réalisme politique» qui leur a permis de maintenir leur indépendance. On peut dire que le Maroc a principalement bénéficié du conflit (entre Ottomans et Ibériques) et de la paix en Méditerranée.
Propos recueillis par Ghassan Kechouri
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