Lorsque les Ibériques achèvent la reconquête de la péninsule, ils prolongent volontiers leur campagne militaire sur le littoral marocain. Mais quelles sont leurs réelles motivations et, surtout, comment le Maroc fait face à cette invasion chrétienne ? Le professeur et historien Ahmed Bouchareb, spécialiste de la question portugaise notamment, s’est longtemps intéressé à cette période si particulière de l’Histoire du Maroc. Il estime que les Marocains ont parfois fait preuve d’un «sursaut nationaliste» et que les puissances européennes, hormis l’occupation jusqu’à nos jours de Sebta et Melilia, n’ont pas réellement tiré profit de cette hasardeuse aventure en terre chérifienne. Explications…
Tout d’abord, nous aimerions comprendre les motivations des Ibériques à occuper des villes marocaines quasiment dès la fin d’Al-Andalus ?
On a longtemps expliqué la conquête ibérique de ports marocains par des mobiles religieux. Or il serait aberrant d’imputer le même mobile à la conquête de Sebta, située sur le Détroit de Gibraltar, et d’Agadir, alors que ce site ne représentait, en 1505, aucune importance stratégique pour le Portugal, et alors que de nombreux ports situés plus au Nord étaient encore libres. Il est vrai que ce mobile était très vivace au Portugal, malgré la fin des opérations de reconquista dès le début du XIIIème siècle, et que l’église et le pouvoir politique, notamment au début de la dynastie Aviz, en quête d’une légitimité politique, préparaient l’opinion publique à une croisade en Afrique du Nord. La haine du maure s’exacerba à tel point que le vœu de tout Portugais pieux pensant à son sort dans l’au-delà se limitait, selon l’expression de l’historien portugais David Lopes, à «briser sa lance sur la poitrine d’un musulman». Mais, en dépit de l’omniprésence du fait religieux lors de toute opération militaire au Maroc, le mobile stratégique comme ceux liés à la lutte contre la piraterie, la sécurisation des lignes maritimes avec les villes italiennes ou encore politique (rivalité avec la Castille voisine, notamment) étaient plus déterminants dans le choix des villes à attaquer dans le Nord du pays.
Quel sentiment animait-il les Marocains lorsque les ibériques lancèrent leur offensive sur le littoral marocain dès le début du XVème siècle ?
Le choc de la conquête de Sebta en 1415 fut énorme. N’oublions pas que les Marocains étaient, durant des siècles, les habituels défenseurs de l’Islam en Andalousie. L’effroi était d’autant plus grand que le pays venait de sortir d’une guerre civile qui ravagea le «Royaume de Fès». Mais en dépit de cette situation qui empêchait le pouvoir central de réagir, les populations locales, très souvent soutenues par des volontaires venus de régions lointaines, comme le Tafilalet ou Jazoula du Sous, assiégèrent la ville, comme l’atteste la Chronique que Eanes de Zuraraa (historien et chroniqueur portugais du XVème siècle) consacrée à cette ville marocaine. Cet élan se manifesta encore davantage lors de la défense de Tanger en 1437, qui se termina par un véritable désastre portugais. La volonté de défendre l’intégrité territoriale du pays et de faire échouer les projets des Portugais atteignit son paroxysme après la chute d’Asilah en 1471, qui se termina par des milliers de morts et de captifs, et par la chute de Tanger, «le cimetière de la noblesse portugaise».
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°157