Un lauréat de la Qaraouiyine chantre de la modernité ! Voilà qui pourrait dérouter, à moins d’avoir le génie et le talent. Abdelhadi Boutaleb avait du génie, la distinction qui fait le génie, du talent pour ceux qui ont le plaisir de lire dans son œuvre romanesque et ses essais, ou ceux qui l’ont côtoyé.
Il était à l’image d’Allal El Fassi, lauréat de la Qaraouiyine, et d’Abdellah Ibrahim, lauréat d’Ibn Youssef, issus d’un enseignement traditionnel et qui ont produit une pensée. Mais Boutaleb se démarque dans l’énoncé de sa pensée libérale. Il entretient une approche synthétique avec la pensée occidentale, plutôt qu’éclectique, avec une meilleure connaissance des arcanes du pouvoir. Ses écrits contiennent la touche artistique d’un esthète, avec un style fleureté en langue arabe. Il avait aussi un meilleur commerce de la langue française qu’il avait apprise en autodidacte. Il s’est essayé au roman à la fleur de la jeunesse et avait excellé. Il avait fait la politique : dans un parti comme le PDI (choura ou parti démocratique de l’indépendance) dont il fut exclu pour être fondateur, à côté de Ben Barka, de l’UNFP (Union nationale des forces populaires). Faudrait-il rappeler qu’il avait occupé un poste de ministre dans le premier cabinet de l’indépendance. On serait en mal d’égrener les postes de ministre qu’il avait occupés sous Hassan II, dont ministre des Affaires étrangères et ministre d’état, en plus d’avoir été plus d’une fois conseiller du roi. Il était même pressenti pour occuper le poste de Premier ministre sous Hassan II. Et on ne va surtout pas oublier sa charge d’ambassadeur à Washington depuis 1974, au début de l’affaire du Sahara. On est enclin à lui reprocher ses «infidélités», politiques s’entend. Mais peut-on reprocher à un capitaine de diriger son voilier en fonction du mouvement du vent ? Le contexte propose et l’homme dispose. Boutaleb serait le Talleyrand marocain, servant son pays contre vents et marées.
Par Hassan Aourid
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