C’est connu. C’est la grave crise financière et monétaire qui a frappé le vieil Empire chérifien à la fin du XIXème siècle qui est la cause première de la soumission du sultan, son Makhzen et ses hommes au capital et aux puissances étrangers. Conscient de ce talon d’Achille, le Maroc a bien essayé d’y remédier, mais il ne pouvait réussir sans l’implication, et le savoir-faire, d’un Etat étranger. Et cet Etat était la France.
A l’aube du XXème siècle, Paris comprend que la création d’une banque d’Etat du Maroc va permettre d’assainir et de normaliser la situation économique de cet empire brinquebalant, mais également d’ouvrir la porte à l’instauration d’un futur protectorat français.
L’idée de créer une banque d’Etat au Maroc n’était pas nouvelle, elle datait de 1883 quand des hommes d’affaires européens comprirent tout le bénéfice qu’ils pourraient tirer à créer une banque étatique au Maroc, la gérer, frapper la monnaie, prêter de l’argent au Makhzen et se servir à sa guise en puisant dans ses caisses pour se rembourser.
Mais c’est seulement en 1901 que la Banque de Paris et des Pays-Bas (actuelle Paribas) accepta finalement de s’impliquer dans cette aventure. Il est vrai sous la houlette, et la baguette, de la République française.
En 1903, avec un gouvernement chérifien aux abois et manquant cruellement de liquidités, le ministre des affaires étrangères, Théophile Delcassé, chargea le ministre de la Légation de Tanger, qui faisait office d’ambassade au Maroc, Georges Saint-René Taillandier, de constituer un consortium de banques françaises pour préparer le terrain à l’imminente création d’une Banque d’Etat. Et c’est ainsi qu’au mois de janvier 1905, Saint-René Taillandier était envoyé en mission à Fès pour présenter au sultan une série de « réformes » censées mettre le Maroc sur les rails du progrès. Evidemment, le projet de création d’une banque d’Etat qui aurait le monopole de frappe, d’émission, de caisse et de trésorerie, d’emprunt et de crédit, était inscrit en bonne place dans ce programme.
Même aux abois, Moulay Abdelaziz n’était pas dupe et comprit rapidement que la France cherchait à déposséder son pays de tout contrôle sur son économie et ses finances. Il tenta tant de résister en faisant donner le Conseil des notables (Majlis Aâyane Al Oumma) qui mit en échec les projets français. Le souverain crut même avoir gagné la partie quand entra en scène le kaiser Guillaume II, venu à Tanger en mars 1905 pour défendre la « liberté » et « l’indépendance » du Maroc.
En fait, le « coup de Tanger », s’il provoqua la démission de Delcassé, accéléra aussi l’entendement général pour le partage du Maroc. En 1906, la Conférence internationale d’Algésiras ouvrit la porte à la création de la banque d’Etat du Maroc et par la même à l’occupation du Maroc.
La banque d’Etat du Maroc fut créée en 1907. Son capital était contrôlé, comme par hasard, par le Banque de Paris et des Pays-Bas. Son siège social fut installé à Tanger avec l’ouverture d’une multitude d’agences dans tout le pays.
C’est seulement en 1959, après d’âpres négociations, que le Maroc récupéra le droit souverain d’émission de sa propre monnaie. La banque d’Etat du Maroc devint la Banque du Maroc, puis en 1967 elle changea de nom pour devenir Bank Al Maghrib.