La culture marocaine a fait du thé plus qu’une simple boisson. Manière d’être, tradition d’accueil et de communion, mais aussi esthétique de gestes et d’objets. Cette créativité devait inévitablement marquer la production littéraire.
Dès le début du XIXe siècle, des poètes de cour, vivant dans les capitales du nord, chantaient le thé sur le mode de poésie du vin (khamriyyât), chère à la tradition arabe. Goûts, couleurs, sensations et plaisir de l’échange y sont décrits. Cela fait penser au symposion de la Grèce antique. Mais, sur un autre plan, que pouvait signifier cet appel insistant à adopter le thé comme substitut au vin ? Le plaisir de l’ivresse, avec l’illicite en moins. Cela rappelle l’objectif de tempérance qui a accompagné les débuts du thé, en Chine comme en Angleterre. Dans le cas du Maroc, cela nous amène à rectifier un cliché très répandu : le thé aurait été bien accueilli parce qu’il permettait d’adoucir l’âcreté de l’infusion de menthe. Or, il serait plus juste de distinguer entre un breuvage utile et un breuvage qui devient le support d’une cérémonie et d’une nouvelle forme de sociabilité. Il semble plutôt que la nouvelle boisson rencontra un rituel préexistant, en l’occurrence celui du vin. Depuis le Moyen Âge, au Maroc comme dans le reste des pays musulmans, le vin était prohibé par la tradition religieuse ; il était produit et consommé dans différents milieux et donc pratiqué sans être reconnu.
Par Abdelahad Sebti