À sa manière, le Maréchal incarnait et perpétuait cet «amour de l’Orient dans l’Occident chrétien». Pour le meilleur et pour le pire.
Dans «Adieu Bonaparte» de Youssef Chahine, on voit Patrice Chéreau dans le rôle de Napoléon Bonaparte en transe dans les zaouïas et les mosquées. Il se confond dans la foule des fidèles sans abandonner son uniforme, ni son regard malin. Selon les lectures, on pourrait comprendre que le cinéaste voulait donner de Napoléon Bonaparte l’image d’un conquérant pragmatique qui cherchait surtout à montrer aux Egyptiens qu’il était fasciné par leur culture. Mais cette scène, si elle avait eu lieu dans la réalité, supporterait plusieurs approches, dont la fascination de l’Orient, ce sentiment qui traversait l’Occident depuis la chute de l’Andalousie.
Ce qui est interprété comme une fausse dévotion, un jeu malicieux visant à tromper les incrédules, pourrait être lu comme un transport d’émotions devant une telle beauté spirituelle. C’est l’éternel débat sur le rapport qu’entretenaient les orientalistes, philosophes, littéraires, peintres avec leurs sujets de recherche ou leurs modèles artistiques. La même situation fut vécue par les ethnologues, les anthropologues et mêmes les archéologues qui durent s’expatrier pour étudier et analyser les sociétés non occidentales. L’autorité scientifique a dû générer un système de contrôle interdisant aux chercheurs cette relation amoureuse entre le scientifique et son objet de recherche. Cette interdiction fut élevée au rang d’un précepte religieux.
L’héritier de Napoléon Bonaparte
Hubert Lyautey semble porter ce paradoxe orientaliste que vécurent sans pouvoir s’en débarrasser Napoléon Bonaparte et Eugène Delacroix. Un amour et un rejet. Venir dominer ceux-là même qu’on admire. Les dominer en les enfermant dans des cages, derrière des murs ou en les figeant dans des dessins et des peintures. En arrêtant le temps et en luttant contre leur mutation. À ce propos, les historiens rapportent qu’à son arrivée au Maroc Lyautey donna l’ordre de ne rien changer à ce pays antique. Rien du tout, ni ses traditions, ni sa culture, ni même son système politique.
Par Moulim Elaroussi
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