Après la faillite du commerce saadien, le cadre politico-religieux du Maroc alaouite, faisant face à l’appétit grandissant des puissances européennes, a empêché l’émergence d’une élite entrepreneuriale.
Dans son Inoultane (publications FLSH, Rabat), l’actuel ministre des Affaires religieuses, Ahmed Taoufiq, qui est également historien, rapporte une anecdote lourde de sens. A la fin du XIXe siècle, un certain Jillali Demnati a déterré quatre millions de pièces d’or. C’est l’équivalent du quart des dommages de guerre payés par le Maroc à l’Espagne après la guerre de 1860 et l’occupation de Tétouan – une facture qui avait d’ailleurs vidé les caisses de l’empire chérifien. Un particulier possédait ainsi un trésor à faire pâlir d’envie le sultan du Maroc! Autre élément intéressant: cette fortune n’était ni mise à l’abri dans les coffres d’une banque, ni investie dans des activités lucratives. Le trésor était tout simplement enterré et inutilisé, en dépit du bon sens capitaliste. Ainsi, au moment où l’Europe se lançait dans la révolution industrielle et abordait un nouvel âge du capitalisme, le Maroc semblait bloqué au stade de la thésaurisation et des « bas de laine ». Comment le pays a-t-il pu rater ainsi le coche de l’accélération de l’Histoire ? A la fin du XVe siècle, le Maroc n’a rien à envier aux puissances européennes. Les villes du Maghreb sont plus peuplées que celles d’Europe et le commerce caravanier enrichit les élites urbaines de Tombouctou jusqu’en Arabie. Mais un phénomène mondial ne tarde pas à mettre au jour les faiblesses de l’économie des pays au sud de la Méditerranée. En effet, au XVIe siècle, l’émergence d’un puissant commerce maritime mondial cause la faillite du commerce saadien, qui reposait sur des bases terrestres.
Le tournant du XVIe siècle
Les caravanes d’or et d’esclaves avaient certes fait naître une «bourgeoisie» commerçante dans les villes, mais avaient laissé les campagnes sur le bord du chemin. Alors que les villes s’étaient enrichies sous l’effet du commerce, les campagnes étaient restées à un très faible niveau de développement. Pour reprendre des termes contemporains, l’économie de l’empire chérifien s’est appuyée sur le commerce (villes) au détriment de la production locale (campagnes). En Europe, c’est tout le contraire qui s’est produit : le système féodal reposait sur des structures paysannes, soumises corps et âme aux seigneurs locaux qui tiraient le plus grand profit de leurs campagnes.
Par Tayeb Biad
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