En 2013, le rôle de la Russie dans le blocage de la « crise syrienne » donna l’impression d’un retour de la guerre froide ou du déclenchement d’une nouvelle guerre froide. Peu après, la « crise ukrainienne » confirma qu’il s’agit bien d’une nouvelle tendance qui s’affirme, mais infirma l’impression d’une histoire qui se répète.
La guerre froide signifiait avant tout une bipolarité multidimensionnelle. Deux superpuissances économiques et militaires, deux blocs structurés, et deux systèmes idéologiques et sociaux qui rivalisent. Or, l’évolution actuelle est différente. Pour démêler la complexité réelle du phénomène en cours, je propose de sérier les niveaux d’observation.
Au niveau économique, c’est une multipolarité en continuelle évolution, illustrée par la montée des « puissances émergentes ». L’évolution des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) est significative. La Chine possède les plus grosses réserves de change dans le monde ; l’Indonésie et la Turquie sont candidates à l’adhésion au groupe ; l’Afrique du Sud y siège depuis 2010, son économie est actuellement rattrapée par celle du Nigeria.
Au niveau démographique, on pourrait distinguer entre deux modèles. Les pétromonarchies du Golfe illustrent l’atout de la faiblesse démographique corrélative d’une économie de rente, alors que l’Asie du Sud-Est illustre la puissance démographique corrélative d’une économie de production. D’où « l’option Asie-Pacifique » adoptée par les Américains pour bénéficier d’un rapport de proximité avec le nouveau centre mondial du dynamisme économique et démographique.
Au niveau militaire, face à la guerre asymétrique et au jihadisme déterritorialisé, la puissance américaine a adopté une stratégie fondée sur de nouveaux modes d’action comme les drones, les opérations spéciales, et les toiles discrètes comme l’AFRICOM. Mais, de nouvelles puissances régionales s’affirment : l’Iran a su imposer aux Américains un changement d’attitude qui remet en question le jeu d’alliances au Machrek.
Au niveau politico-culturel, la nouvelle avancée russe n’est plus liée au modèle communiste. Elle est plutôt animée par une idéologie qui combine nationalisme et conservatisme. Poutine agit pour prendre une revanche sur deux décennies d’humiliation, sur l’expansion de l’OTAN près de ses frontières, mais aussi pour prendre la défense de valeurs sociales et religieuses menacées à ses yeux par l’ultralibéralisme de l’Occident « décadent ». Cette vision recoupe une tendance plus vaste : crise des gauches, montée de la mouvance eurosceptique en Europe et du néo-conservatisme aux Etats-Unis ; crispations territoriales en Asie orientale, illustrées notamment par la tension récente entre la Chine et le Viêtnam.
Les puissances occidentales se trouvent actuellement dans une situation paradoxale qui les amène à « rediaboliser » la Russie, avec toutefois un réalisme et un pragmatisme qui leur font éviter une véritable position d’affrontement. Il est vrai aussi qu’en matière de défense de valeurs universelles, comme les droits humains ou les principes du droit international, la pratique des puissances occidentales s’avère plutôt sélective, exigeante dans certains cas, laxiste et complaisante dans d’autres, selon une logique dictée par les intérêts. Ce qui ne peut qu’éroder l’autorité morale de pays supposés être les porteurs de la liberté, de la démocratie et de la modernité. Il suffit d’observer de près le traitement différentiel des autoritarismes arabes, et le cynisme de l’intervention armée (États-Unis/OTAN) en Libye en 2013, annoncée au début comme opération humanitaire, et qui a provoqué une dissémination incontrôlée des armes, de même qu’elle a contribué au retour de la tribu et à la balkanisation de l’État (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan).
Il s’avère donc que la répétition de l’histoire relève plutôt de l’imaginaire. L’environnement international actuel semble surtout marqué par une reconfiguration de la puissance. La multipolarité de fait est caractérisée par la non-adéquation entre force économique et force militaire. La mondialisation et le triomphe provisoire du néolibéralisme engendrent, selon les régions, une recomposition des grands ensembles, un regain du nationalisme ou une crise de l’État national.
Par Abdelahad Sebti, conseiller scientifique de Zamane
Je suis honoré que le professeur AbdelAhad Sebti était un jour mon prof d’Histoire, et c’est grâce à lui que j’ai appris l’analyse Marxiste de l’histoire et je me rappelle bien durant sa classe j’ai présenté un exposé sur la Révolution Bolchévique, et c’était en l’année scolaire 1976/77 Lycée Abdel Malék Assaâdi Kénitra.
Merci beaucoup Mr. Sebti