La visite le mois dernier au Maroc de Mme Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a remis, encore une fois, dans son contexte international le dossier du Sahara que les Algériens ont tout fait pour internationaliser, d’abord à l’OUA et l’UA, puis à l’ONU. Nous y sommes allés, contraints et forcés, depuis près de quarante ans, même après avoir été supplantés par le Polisario de notre siège dans les organisations panafricaines et soumis à une mise en présence complétement stérile avec nos séparatistes, au niveau onusien.
Internationalisation ne veut pas dire exterritorialité, bien au contraire. Le fond du dossier et les faits y afférant se déroulent sur notre territoire, Sahara marocain compris. Une réalité solidement argumentée que Mme Pillay semble avoir intégrée. Elle est arrivée avec une question d’ordre général sous le bras : qu’en est-il des droits de l’homme tels qu’internationalement reconnus et auxquels le Maroc a souscrit pour l’ensemble de son territoire et pas seulement au Sahara ? En réponse à cette interrogation attendue, le Maroc a présenté des textes constitutionnels et législatifs, par ailleurs explicites et convaincants. La dignitaire de l’ONU a été encore plus précise en réduisant son angle de questionnement à un seul aspect et non des moindres : l’usage ou pas de la torture. Là aussi, nous avons répondu par des textes et des engagements internationaux pris par le Maroc.
Reconnaissant au passage l’éventualité de cas de torture isolés et non prouvés. Une commission d’écoute, d’enregistrement et de vérification, avec une composition plutôt crédible, a été constituée. Même si les cas de torture avérés sont toujours isolés, à moins qu’ils puissent se dérouler sur la place publique, Mme Pillay a positivement apprécié les bonnes dispositions marocaines. Au vu de ses déclarations d’évaluation globale de sa visite, elle est repartie apparemment satisfaite. Pour une fois, a-t-on estimé côté gouvernement, le Maroc a été attentivement écouté, voire entendu, sans idées préconçues et sans parti-pris matériellement intéressé. Il n’empêche. Même si l’issue de cette visite paraît concluante, nous avons, encore une fois, donné l’impression d’être continuellement en position de rattrapage. Comme si nous courrions constamment derrière un droit territorial manifeste, avec un maximum de difficultés à faire passer notre vérité à nos interlocuteurs et nos détracteurs. Si l’on voulait faire un parallèle avec la question du Sahara, on ne trouverait pas mieux que celui des droits de l’homme. Les deux sont allés ensemble, depuis toujours. Car la gestion du dossier du Sahara a fatalement une histoire. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas eu un traitement qui réponde aux dogmes de la liberté d’opinion. Une évidence qui a longtemps relevé de l’interdit, tant aux niveaux des prises de position que de l’écrit.
On ne va pas, ici, refaire l’historique de cette problématique. Il faut juste se rappeler que dans les décennies 1970 et 1980, nous sommes passés du refus du référendum d’autodétermination à son acceptation, puis à son rejet. Comble du paradoxe, il est arrivé un moment, au début des années 1980, où les pro-référendum, déjà embastillés, ont été rejoints, en bonne compagnie carcérale, par les anti-référendum, parmi lesquels un illustre détenu nationaliste et figure emblématique de l’opposition, Abderrahim Bouabid. La politique, dit-on, n’est pas un précis de logique. Difficile pour autant d’intégrer l’idée que des incidences de ce genre puissent émailler l’évolution en dents de scie de ce dossier. En fait, il y a eu déjà des précédents du même tonneau, quelques années auparavant. En mai 1970, Lopez Bravo, ministre des affaires étrangères, du vivant du général Franco, était venu à Rabat pour parler des relations bilatérales, en général, et du Sahara encore sous domination espagnole, en particulier. Les étudiants marocains originaires de nos provinces sahariens, avaient organisé des manifestations contre cette visite pour clamer haut et fort la marocanité du Sahara. Ils sont été réprimés aussi bien à Rabat qu’à Tan-Tan.
C’est parmi ces mêmes manifestations qu’ont été recrutés les fondateurs du Polisario, après qu’ils aient été ballotés entre la Libye, à l’occasion du Festival de la Jeunesse Arabe à Tripoli, en 1973 ; puis l’Irak où le drapeau de la future RASD a été confectionné avant d’être récupéré par l’Algérie. Force est de reconnaître que le Polisario est le produit de notre tripatouillage politiquement inconséquent du dossier du Sahara. L’histoire retiendra que le regretté El Ouali Mustapha Sayed, étudiant à Rabat, militant de l’UNEM ( Union nationale des étudiants du Maroc ) et concepteur du sigle Polisario, n’a jamais été séparatiste avant que les services algériens ne le prennent en charge. Ces derniers vont l’embarquer, en 1976, dans une expédition aventureuse en direction de la Mauritanie, en prenant soin d’avertir les autorités de Nouakchott de sa mésaventure. Il y a laissé la vie. Il s’agissait de laisser la place à Mohamed Abdelaziz que les Algériens ont réussi à endoctriner et retourner.
Ceci pour dire qu’autant l’unanimité nationale autour de la marocanité du Sahara était naturelle, autant l’unanimisme, voulu et imposé, sur la gestion du dossier, ne l’a pas toujours servi.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION