Au Maroc, le libéralisme économique n’est pas une question d’orientation idéologique, nous dit le professeur Nabil Taoufik. Pour le docteur en Histoire Economique, le royaume a, depuis l’indépendance et même avant le Protectorat, fait le choix du pragmatisme tout en s’appuyant sur les mécanismes du makhzen traditionnel. Cette approche est-elle encore viable à l’heure où les Etats semblent prisonniers d’un système économique globalisé ? Eléments de réponse…
Le mouvement national a longtemps plaidé pour une indépendance économique au moment de l’indépendance politique du royaume. Que signifie-t-elle au juste ?
Après l’indépendance en 1956, l’ensemble des forces ayant participé à sa concrétisation étaient d’accord sur la nécessité de poursuivre le mouvement de décolonisation, y compris sur le plan agricole et en termes de remplacement des cadres français dans l’administration par des Marocains. C’est pourquoi l’accent a été mis dans les premiers plans quinquennaux postindépendance sur la réforme agraire et la formation des cadres. En matière d’industrie, l’orientation première poursuivie par le gouvernement Abdellah Ibrahim avec Abderrahim Bouabid en ministre de l’Economie, inscrite dans le cadre du plan quinquennal 1960-1964, était d’adopter une stratégie de développement par l’industrialisation, entendue dans le sens industrie lourde sur le modèle soviétique, mais aussi industrialisation par substitution aux importations (ISI) sur le modèle latino-américain.
L’idée est-elle de s’émanciper de l’économie coloniale ?
Tout à fait. Cela consistait à couper les ponts avec les anciennes forces occupantes en atteignant le maximum d’autosuffisance. Sauf qu’il manquait à cette ambition, au-delà des ressources, le principal entrant, à savoir le capital. Les grandes puissances détentrices du capital s’opposeront naturellement à une telle ambition et refuseront de financer les projets industriels du plan Abderrahim Bouabid. D’un autre côté, le prince Moulay El Hassan (futur Hassan II) voyait d’un mauvais œil le penchant hégémonique du parti de l’Istiqlal, auxquels appartenaient encore Abdallah Ibrahim et Abderrahim Bouabid avant de fonder l’UNFP (1959). Son projet politique était radicalement différent, axé sur une monarchie forte, dirigeante, traditionnaliste dans son essence, mais ouverte à l’évolution dans le respect de la tradition. En conséquence, sans qu’il soit libéral de conviction, il rejetait mécaniquement le projet de gauche de ses rivaux et c’est ainsi qu’en 1964 il fait appel aux services de la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement), filiale de la Banque Mondiale, pour accompagner le gouvernement marocain dans l’audit de ses forces et faiblesses économiques et l’aider à mettre en place une stratégie de développement adaptée à ses réalités politique, sociale, économique et historique. Ce plan va consacrer la priorité accordée à l’agriculture, la formation des cadres et le commerce, tout en y ajoutant le tourisme et en reléguant en arrière plan l’Industrie, devenu légère, de transformation.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°148