Au cours du Protectorat, intellectuels et explorateurs français ont «pensé le Maroc». Si leurs écrits ont parfois été pertinents, ils sont souvent emprunts de préjugés, érigés en vérité, et fidèles à la vulgate coloniale. Une manière de dominer l’Autre, en pensant à sa place.
«Maudite soit la cité où chaque homme a un prix». Ainsi parlait Jugurtha, cet affidé de Rome qui pouvait acheter les édiles romains comme on achète du bétail. Une sentence aux relents de revanche censée précéder une autre phase : la rébellion du vassal numide contre Rome. On connait la suite : Rome défit le général berbère, mais la grande cité était déjà projetée dans un abîme inéluctable. Un autre berbère, Saint Augustin, se pencha d’ailleurs sur ce corps mis à mort -Rome- par l’invasion des barbares auquel il essaya d’insuffler vie, dans son œuvre La cité de Dieu. Il était intellectuellement affranchi pour ne rien devoir à César et tout à Dieu.
Dans tout rapport de domination, celle de l’esprit est la plus pernicieuse. Plus dangereuse que l’occupation de la terre, plus accablante que l’emprisonnement des corps. Le dominant vous perçoit selon ses schèmes et vous impose d’y couler. Il peut se faire subtil et vous invite à prendre le relais de sa fonction de « penser ». Le phénomène est pertinemment analysé par Edward Saïd dans son ouvrage intitulé l’Orientalisme. La fonction de forger des représentations précède celle de l’occupation et de la domination. On peut se hasarder et parler de «néo-orientalisme», conséquent à l’émancipation politique et économique.
Par Hassan Aourid
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