L’hostilité entre le Maroc et l’Algérie à propos de leur frontière commune a bien une origine, qu’il faut chercher dans les profondeurs de l’Histoire. C’est pourquoi l’historien Said Sayagh, enseignant à l’université de Montpellier, a écrit «La France et les frontières Maroco-Algériennes 1873-1902» (1986). Dans le titre de son livre, il ajoute un autre protagoniste, la France. Pour lui, analyser ce différent frontalier revient à relire l’histoire de la colonisation dans la région. Il nous décrypte les mécanismes d’un autre temps, qui mêlent empires chérifiens et ottomans, les tribus de la région, et l’expansion coloniale, dont les répercussions sont toujours aussi prégnantes…
Votre ouvrage sur l’histoire de la frontière maroco-algérienne couvre la période allant de 1873 à 1902. Pourquoi choisir 1873 comme point de repère, sachant que le traité de Lalla Maghnia signé entre la France et le Maroc à ce propos date de 1845 ?
La préoccupation principale de mon travail était d’analyser le fonctionnement des relations du Makhzen avec les tribus frontalières de ce qui était la Régence turque d’Alger, devenue colonie française depuis 1830. Ce système traditionnel pouvait-il résister à la pression coloniale ? Le traité de Lalla Maghnia devait reconnaître le fait accompli et assurer un calme relatif entre le Maroc et le nouveau voisin qui se présentait comme héritier de la Régence disparue. L’arrivée au pouvoir de Hassan Ier en 1873, sultan énergique et conscient de la gravité de la situation du royaume devenu cible des rivalités coloniales, coïncide avec le redressement de la France, puissance européenne décidée à rentrer dans la compétition, après les déboires de la guerre de 1870. Les litiges frontaliers fourniront les prétextes au nouveau voisin d’étendre, d’un côté, ses possessions algériennes et d’être aux avant-postes dans la rivalité européenne à propos du Maroc. Il en était fini du «bon voisinage» prôné par le traité de Lalla Maghnia. La frontière mal définie devient une porte ouverte à la pénétration française au Maroc.
D’ailleurs, le traité stipule un statu quo de ce tracé frontalier hérité du voisinage entre Ottomans et Marocains. Que peut-on dire de la situation réelle entre les deux empires musulmans à propos de leur frontière commune ?
Sous le règne de la dynastie Saâdienne, la Tafna servait de frontière entre le Maroc et la Régence d’Alger, fixant la souveraineté des Turcs ottomans vers l’ouest, comme frontière orientale traditionnelle du Maroc. La frontière de la Tafna était passablement respectée de part et d’autre. Sous la dynastie alaouite, Mohammed Ier s’était engagé, dans un traité en 1647, à ne plus franchir la Tafna, considérée alors comme frontière commune délimitant les influences turques des influences chérifiennes. Malgré quelques escarmouches frontalières, les Turcs considéraient la Tafna comme limite entre les territoires marocain et turc.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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