Dans le drame du Haouz, nous avons évidemment perdu des humains à jamais, des familles ont été amputées de ce qu’elles avaient de plus cher : des frères, des sœurs, des mères, des pères, des oncles ou tout simplement des voisins ou des amis ; le drame était fatal. Nous avons perdu aussi des œuvres que ces humains disparus ont élaboré à travers les siècles et que le séisme a détruit d’une manière définitive. Le Haouz n’est pas uniquement un décor touristique naturel qui attire les amateurs des randonnées et les mordus de ski, mais il recelait un grand patrimoine artistique ancestral. Tout le monde a parlé de la Mosquée de Tinmel, mais personne n’a parlé du Mausolée d’Ibn Abbad à Aghmat, ni du sanctuaire de Moulay Brahim, ni d’Al Maqam de l’artiste Mohamed Mourabiti qui a fait de Tahannaout une ville des artistes et des intellectuels.
Mais tous ces monuments sont connus et on peut, moyennant de l’argent, les reconstituer à l’identique, d’autant plus que des maquettes existent et d’excellents architectes qui connaissent la région, tel Karim Rouissi qui connaît le terrain pour l’avoir pratiqué lors de ses recherches en architecture.
Mais le désastre a touché un autre aspect de ce précieux patrimoine, il s’agit des bijoux et des bois peints… Déjà, en 2005, l’historien Hamid Triki avait mis en garde contre la détérioration de ce patrimoine : «Mis à part, déclarait-il, les objets en céramique, les bijoux, il existe des objets qui font partie du patrimoine marocain et qui doivent être préservés. Je parle ici de certains cas flagrants comme ceux des poteries rurales et des différentes sortes de bois peints et sculptés qui sont une spécialité au Maroc. Ces deux éléments méritent toute l’attention, puisqu’on risque d’ici quelques temps d’assister au drame de la disparition à jamais de ce patrimoine. Concernant les bois peints, ils constituent une richesse inégalable sur le plan du patrimoine du pays. Ces bois peints ou sculptés ornent pour la plupart les plafonds de certaines mosquées et demeures dans le Haut-Atlas et dans certaines vallées du Souss. À côté des plafonds, il y a également des portes en bois qui se font de plus en plus rares».
Hamid Triki faisait allusion à la menace naturelle (intempéries), certes, mais à celle des pilleurs de patrimoine dont les étrangers et les brocanteurs revendeurs aussi ; il ne pensait pas à une catastrophe de telle ampleur, comme celle qui vient de frapper le Haouz et sa région. Je ne crois pas que les déblayeurs des décombres ont eu la patience et la passion d’aller ménager les morceaux de bois, les bracelets ou les débris de poteries… Ce qui a été enterré par le tremblement de terre a été probablement enfoncé sous terre et terrassé par les bulldozers de déblayage.
Pouvons-nous aujourd’hui s’atteler à déterrer ces trésors ou les laisserons-nous à la descendance qui sera plus sensible que nos contemporains à ce genre d’expressions de nos ancêtres ?
Par Moulim El Aroussi