Après l’indignation, le Rif est passé au stade de l’ébullition. En cause ? Des revendications sociales et économiques auxquelles l’Etat n’a toujours pas répondu. Et en filigrane, un passé douloureux qui n’a jamais été enterré. Ou comment l’histoire joue des tours à l’Etat.
Le portrait de Abdelkrim El Khattabi trône en arrière-plan de chacune des interventions vidéo de Nasser Zafzafi. Un symbole fort porté par le leader du mouvement «Hirak», aujourd’hui en état d’arrestation après avoir fait irruption, le 26 mai dernier, dans une mosquée d’Al Hoceïma pour critiquer, et interrompre, le prêche de vendredi de l’imam. Conséquence, la tension a atteint un stade critique, au point de provoquer des mouvements de soutien dans d’autres villes, notamment Tanger, Rabat ou encore Casablanca, où la manifestation a été dispersée par les forces de l’ordre. Derrière la colère des citoyens rifains, des revendications sociales et économiques, pour endiguer le chômage, construire des infrastructures et combattre la corruption, entre autres.
Les mêmes revendications qu’en 2011 en somme, lors du Mouvement du 20 février. Cela dit, cette indignation, contrairement à d’autres régions du Maroc qui ont aussi connu des émeutes (Sefrou ou Taza par exemple), est empreinte d’histoire. à Al Hoceïma, épicentre de la contestation, les manifestants ont systématiquement repris des symboles du passé : drapeau rifain (même si les manifestants ne se déclarent pas séparatistes et ont tenu à le confirmer lors d’une marche le 18 mai), des portraits de Abdelkrim El Khattabi et des slogans anti-militarisation (#Lalilaskara), en référence à un dahir de 1958 qui définissait Al Hoceïma comme une zone militaire. Or, ce dahir n’est plus en vigueur depuis 1959. La région, plus que d’autres, est gangrénée par le cancer, imputable à l’usage de gaz toxiques par l’occupant espagnol lors de la Guerre du Rif (1921-1927).
Les manifestants exigent donc des hôpitaux capables de soigner toutes les variétés de cancer. La preuve, s’il en fallait, que l’histoire dense et tragique du Rif, et donc du Maroc, n’a été ni réellement aplanie ni digérée. Sur les réseaux sociaux, même le mot «Awbach» (vermine) a été remis au goût du jour, tantôt par les Rifains eux-mêmes, tantôt par des internautes hostiles au mouvement de contestation. Pour rappel, ce mot a été prononcé par Hassan II suite aux émeutes de 1984. Les Rifains l’ont directement pris pour eux. Par le passé, la région avait subi de violentes répressions; le point d’orgue étant sans aucun doute la sanglante révolte du Rif (1958-1959) menée par Hassan II, alors prince héritier, et Oufkir.
L’apaisement tant attendu survient avec l’avènement de Mohammed VI. De grands chantiers sont lancés certes, mais ils concernent surtout Tanger et Tétouan. En 2015, une enveloppe de 6,5 MMDH a été débloquée pour faire d’Al Hoceïma « le phare de la Méditerranée», mais rien ou presque n’a été fait. Et les questions de fond n’ont toujours pas été abordées non plus. L’histoire en témoignera, une nouvelle fois.