Un mois après le début de la polémique sur le film « Much loved », ou « Zine li fik », Nabil Ayouch revient pour Zamane sur la succession des évènements. Il explique ses choix, ses doutes et nous livre sa conception de la liberté de création et d’expression artistique au Maroc. Pour trouver les bureaux où travaille Nabil Ayouch, il suffit de repérer les agents de sécurité. C’est le conseil que vous livrera la personne de l’accueil pour vous trouver le lieu. Loin du centre ville casablancais, le cinéaste nous reçoit dans des locaux bien gardés. C’est évident, l’orage n’est toujours pas passé.
Tout d’abord, êtes-vous inquiet pour la sécurité de votre équipe et la vôtre, à la suite de la polémique suscitée par votre film Much loved ?
En effet, nous avons reçu de sérieuses menaces. En ce moment, je pense surtout à mes actrices et à mes proches. C’est une situation très difficile à vivre. Je vous avoue que je me suis senti extrêmement blessé par certains propos lus ou entendus. À vrai dire, je suis atterré et j’emploie sciemment un mot fort. Mais à aucun moment, je n’ai voulu me laisser abattre. Je ne veux pas perdre espoir par rapport à ce film qui mérite largement d’exister et d’être montré, mais aussi dans ma relation avec ce pays. Je n’ai pas envie de laisser la haine et la violence exprimées par certains incarner l’opinion publique marocaine aux yeux de tous. Pour moi, cette hystérie a été largement orchestrée.
En tant que réalisateur, que ressentez-vous lorsqu’il y a un rejet et tant d’hostilité ?
J’estime d’abord que le rejet dont vous parlez est partiel. Seule une minorité, certes très audible, parvient à se faire entendre. Et encore… Le rejet ne concerne en réalité que le sujet du film et non le film en lui-même, puisqu’il n’est pas encore sorti. Comment peut-on juger une œuvre qui n’est pas encore accessible au public ? Cette frange hostile ne critique donc pas le film, elle s’adonne seulement à une opération de parasitage. Une démarche qui a consisté, dans le cas de Much loved, à poster des extraits sur Internet au moment où se déroulait le Festival de Cannes. Une fuite qui n’aurait pas dû exister car, croyez-moi, si j’avais voulu communiquer sur mon film, ce n’est pas de cette façon que j’aurais procédé. Ensuite, certains rushs (ensemble des sons et séquences brutes issus du tournage sans être montés, ndlr) ont été volés et également diffusés sur la toile. Le problème est que ces scènes ont été perçues comme le film fini, alors qu’elles ne figurent pas – dans leur majorité – dans le film. Un ensemble qui crée évidemment un problème de perception. En gros, : « Ce réalisateur traite d’un problème important, mais le fait d’une manière vulgaire et déplacée ». Ce décalage est forcément nuisible. Ce qui m’intéresse aujourd’hui est de présenter au public le film véritable que j’ai voulu construire, sur lequel j’ai travaillé pendant deux ans. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on verra si rejet il y a, et je ne pense pas que ce sera le cas. Aujourd’hui, le débat est perturbé par ces mauvaises ondes et donc perverti.
Propos recueillis par Sami lakmahri
La suite de l’article dans Zamane N° 56