Ce Morisque qui a fui l’Espagne, devenu ambassadeur du sultan Moulay Zidane au XVIIème siècle, a livré à la postérité le récit de ses pérégrinations en Europe. Au-delà des anecdotes de voyage, son œuvre raconte les débats religieux menés par ce nouveau chrétien qui n’en défend pas moins l’islam.
Chihab Eddine Ahmed Ibn al Kacem, dit Afouqay, mériterait probablement l’appellation du dernier Andalou. Il l’est d’une certaine manière puisqu’il est le dernier Andalou, entendons Morisque, à avoir écrit en arabe. A partir de 1492, date de la chute de Grenade, l’usage de la langue arabe en Espagne se rétrécit comme peau de chagrin. Une forme de créole, le jimiado, dérivé du mot al ‘ajamia, qui tient plus du castillan, supplante la langue arabe et ne garde de celle-ci que sa graphie. Il existe quelques poèmes en castillan de ces Morisques déportés, voire des traités d’intelligence en matière d’armement et de fabrication des canons. Mais de la langue arabe, plus rien ne subsiste si ce n’est les écrits d’Afouqay. C’est le dernier Morisque à avoir livré un témoignage en arabe dans son livre Le champion de la religion contre ses contempteurs, relatant ses différentes pérégrinations.
Né en Andalousie, ayant fui au Maroc pour échapper àl’Inquisition, il sert en tant que secrétaire dans la cour du sultan Ahmed El Mansour à Marrakech, à la fin du XVIème siècle. Il officie ensuite en tant que chef de délégation diplomatique en France et en Hollande sous Moulay Zidane. Il accomplit le pèlerinage à La Mecque au soir de sa vie, et s’arrête sur le chemin du retour en Egypte où il rencontre les grands clercs de la mosquée Al Azhar, puis il continue avant de s’éteindre, probablement en Tunisie, à un âge très avancé. Son récit, hormis l’aspect casuistique sur les débats qu’ils a engagés autour des religions monothéistes, est assez rébarbatif, elliptique même, mais regorge de belles scènes qui feraient le bonheur d’un cinéaste.
Afouqay, certainement une épithète issue de l’altération du mot faqih, qui a donné alfaquiè en espagnol, n’a pas attendu le fameux édit d’expulsion du roi Philipe III en 1609 pour quitter son Andalousie natale. Il décide de partir quand, dans l’évêché de son village, Al Hajar, sur le flanc des Alppujarras, on s’aperçoit de sa maîtrise de la langue arabe. Un indice qui risque de le trahir quant à sa foi, la vraie. Il serait donc un faux chrétien. Dans la conception des objecteurs de conscience qui relèvent du conseil de l’Inquisition et qui vont gagner la couronne espagnole, tous les nouveaux chrétiens, sauf exception, sont de mauvais chrétiens. Cervantès ne dit pas autre chose dans Don Quichotte.
Par Hassan Aourid
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