Abdelfattah Ezzine, sociologue spécialiste de la pratique des loisirs au Maroc, n’accepte de faire mention de la notion de vacances qu’avec l’avènement du Protectorat. Avant cette ère, qui introduit le travail horaire, il n’est pas encore question de masses qui se prélassent sur les plages du littoral marocain en été. Préférant évoquer le «temps libéré», il nous explique les façons qu’avaient nos aïeux d’occuper ces moments précieux, mais trop souvent liés à leur quotidien…
Vous avez travaillé sur la notion de loisirs, est-elle indissociable de celle des vacances ?
Ce que l’on appelle aujourd’hui vacances ou, pour être plus juste, temps libre, est totalement occupé par le loisir. Ce terme se comprend en opposition au travail, qui est un temps contraint. Le loisir est, lui, un moment choisi, désintéressé. Ceci dit, le temps de non travail n’est pas forcément libre puisque nous avons des contraintes, comme celui de réviser chez soi après les cours pour un étudiant ou une visite chez ses parents ou une activité au sein d’une association par exemple. Ce sont des devoirs. Le loisir est le temps qu’il vous reste, où vous êtes libre de choisir votre activité comme bon vous semble. C’est ce que l’on appelle le temps libéré. Pour nous sociologues et anthropologues, le loisir est un fait social total. C’est pour cela qu’il fait partie des quatre fonctions que doit offrir une ville selon la charte d’Athènes (éditée à la suite du congrès international d’architecture moderne en 1933, ndlr) avec l’habitat, le travail, et les infrastructures de transport des biens et des personnes. De plus, le loisir consommé durant son temps libre est générateur d’économie. Sur le plan social, le loisir crée des interactions entre des personnes qui ne se côtoient pas forcément durant leurs quotidiens respectifs. Enfin, il est un facteur culturel important dans le sens large du terme, que ce soit en termes de partage religieux ou de connaissances et d’apprentissage.
Peut-on parler de vacances à l’évocation de l’histoire du quotidien des Marocains ?
Les vacances, telles que nous les comprenons aujourd’hui, sont un concept très récent. En France, l’avènement des congés payés au milieu des années 1930 a créé une certaine confusion chez les travailleurs. Beaucoup ont hésité à partir en vacances car ils étaient persuadés qu’en revenant ils allaient trouver leur poste occupé par quelqu’un d’autre. Si nous explorons l’histoire plus ancienne, pré-révolution industrielle, il est plus juste de parler de temps libéré. Concernant le Maroc, j’aime présenter à mes étudiants un ouvrage que je trouve très significatif dans la compréhension de cette notion. Il s’agit du roman de Abdelkrim Ghallab, «Le maâlem Ali», qui relate la vie d’un tanneur en insistant sur son temps libéré, que j’appelle dans ce cas un temps naturel. Une expression qui répond aux cycles de la nature que suit le protagoniste du récit. Son temps libre n’est pas utilisé de la même manière selon les saisons. Il est plus conséquent en été par exemple, où les journées sont plus longues et où les célébrations sont plus nombreuses. C’est en effet le temps des moissons et la fin de la saison agricole, des moussems ou encore la récolte des butins. Cette saison incarne en quelque sorte la fin d’un cycle que les Marocains avaient pour habitude de célébrer.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°153/154