Malek Chebel, auteur du «Manifeste de l’islam des Lumières», vient de tirer sa révérence, le 12 novembre à paris. Un grand Maghrébin.
Les religions reposent sur des dogmes qui façonnent les fidèles, mais ceux-ci peuvent contribuer à refaçonner une religion. Aucune religion n’est exempte de cette interaction, entre dogme et expérience humaine, texte et interprétation, révélation et vision du monde. L’islam n’y échappe par et sera, en partie, ce que les musulmans en feront. C’est cette idée qui a marqué la vie du regretté Malek Chebel tout le long de son parcours académique. Un islam des Lumières, c’est-à-dire de la raison et de l’amour, est possible, mais il ne se fera pas par une génération spontanée. «Les Lumières n’étant pas innées, il faudra se battre pour les allumer, en faire une arme d’épanouissement des individus en lieu et place des systèmes et des dogmes», nous dit Chebel. Il est d’autant plus à l’aise que le texte coranique y invite. Et Chebel de citer le verset qui dit qu’Allah ne change la condition d’aucun peuple, si ce peuple ne change pas, au préalable, par lui-même (XIII, 11).
Le combat se situe au niveau de deux clans, un passif, englué dans une posture fataliste et qui s’est remis à des clercs pour le doter des Indulgences, si ce n’est dans l’ici-bas, ce sera dans l’au-delà. Un autre plutôt proactif, mu par la colère et la haine et qui constitue, n’en déplaise au tapage médiatique, une minorité mais agissante. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les alliés objectifs des promoteurs de la haine ne sont autres que les adeptes des replis identitaires en Occident et les vecteurs de l’islamophobie. Il y a une troisième voie, nous dit Chebel, celle des Lumières, à l’image des Lumières européennes, sans en être une copie. Il y a eu des précédents, dans l’histoire de l’islam, sur lesquels il convient de bâtir. Toute construction sans fondement demeure volatile. Il y a les précédents rationalistes mu’tazilites, mais aussi et surtout andalous. Chebel demeure fidèle à ce buisson ardent qu’il essaye de ranimer, l’Andalousie. Aucune réforme qui n’émane des tréfonds d’une société n’a de chance de réussir, martèle Chebel. Il y a donc des précédents de l’islam des Lumières ou de la raison qui ont réussi en terre d’islam, comme il existe des épigones contemporains de cette voie. Il est toujours possible de rallier foi et raison, non dans un rapport hiérarchique, mais, nous dit Chebel, pour rappeler que l’islam fait sienne la double filiation, celle de la croyance ancestrale et celle du progrès. Il faudra certes dépasser « une frilosité paralysante, savamment instillée dans le cœur des croyants par des prédicateurs chevronnés ». Il est toujours possible d’être musulman et ancré dans la modernité. Il n’est pas dit qu’il faille sacrifier « l’utopie du présent » (sic), pour l’extase et la fascination des origines, selon son expression. La demande de la modernité est forte et persistante dans tout le monde musulman, nous rappelle Chebel. « Aucun pays, aucune région ou sous-région de la terre d’islam, aucune doctrine ni aucun programme destiné à la jeunesse ne peuvent désormais se passer de cette exigence de modernité qui s’est emparée d’une frange non négligeable de jeunes, de femmes, de responsables, d’imams et de muftis, y compris en allant la puiser dans la sagesse tempérée de certains prédécesseurs autochtones ».
Chebel ne se contente pas de faire le constat, mais nous livre les secrets de la voie, par l’éducation au changement et son outil, l’esprit critique doublé de l’autocritique. Bon sang ne saurait mentir. Chebel ne tenait-il pas de ses ancêtres rationalistes que la terre maghrébine avait vu naître, d’Averroès à Ibn Khaldoun ? Il tire sa révérence pour reposer dans sa Skikda natale, en Algérie, non sans avoir livré un testament.
Par Hassan Aourid