Avant l’apparition tardive d’une armée de libération dans le pays, certains Marocains avaient intégré les rangs de l’organisation secrète de Khattabi. Non sans influencer les dissensions nationales de la résistance et brouiller les pistes de son étude.
Dès qu’on parle d’«armée de libération» à propos de l’histoire de la résistance armée marocaine, cela pose une foule de questions. Avant tout, s’agit-il d’une armée unique ou de plusieurs ? Ainsi, on entend parler de l’armée de libération du Sud, de celle du Maghreb arabe, ou encore du Nord… selon les récits, elle apparaît tantôt comme une seule formation, tantôt plusieurs qui se côtoient et s’ignorent.
Il ne faut pas oublier que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Au Maroc, ceux qui se sont approprié l’indépendance ont façonné un récit unique de l’histoire de la résistance, selon leurs propres représentations. Ils ont omis nombre d’événement importants, en ont déformé d’autres et exagéré la portée de quelques-uns. Leurs contradicteurs n’ayant pas fait mieux, les témoignages des uns et des autres fourmillent d’exclusions et de dénigrements. L’état des archives aujourd’hui ne permet pas de démêler correctement cet imbroglio. La clandestinité caractérisant l’action armée n’arrange rien. Si le commandement des troupes est relativement connu, parce qu’il relève d’une réalité de terrain, le commandement politique et stratégique, lui, est de l’ordre du secret. Ecrire son histoire de façon sérieuse nécessite un recul qui n’est pas encore acquis, d’autant que certains acteurs vivent encore.
Ce qui est établi, c’est l’existence de troupes armées insurgées dans les campagnes marocaines. Chacune porte le nom d’«armée de libération» : «du Nord», «du Sud», «de l’Atlas», «de l’Oriental» et «du Maghreb arabe». Ces troupes se sont formées bien après les réseaux de la résistance armée urbaine, presqu’en même temps que le début des négociations entre les nationalistes et certains dirigeants français en vue de l’indépendance. A l’exception de l’Armée de libération du Sud (ALS) qui a perduré jusqu’en 1960, les autres n’ont guère dépassé deux ans d’existence. La création des Forces armées royales en 1956 a précipité soit leur intégration à celles-ci, soit leur dissolution pure et simple. Quant au maintien de l’ALS, quoique résultant d’un compromis entre le roi Mohammed V et des nationalistes de l’Istiqlal, il est dû au fait que les régions du sud sont restées sous domination coloniale (française en Mauritanie, espagnole dans le Sahara occidental et à Sidi Ifni).
La question reste entière : s’agit-il d’une seule armée répartie dans des régions différentes, ou de plusieurs armées indépendantes ? L’Armée de libération du Maghreb arabe avait-elle une présence territorialisée au Maroc, ou bien ne représentait-elle qu’un commandement référentiel, auréolé de la puissance symbolique de son initiateur, le charismatique Mohammed Ben Abdelkrim El Khattabi ?
Par Mostafa Bouaziz
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