La découverte d’une vaste structure urbaine en aval du site de Chellah à Rabat est un formidable coup de projecteur sur l’histoire du Maroc antique. Une période pourtant longtemps vouée, soit à l’indifférence, soit à l’idéologie historique. L’occasion est donc belle de porter sur elle un regard nouveau. Outre les enseignements que peuvent tirer les chercheurs à travers les fouilles en cours à Chellah, ou Sala comme elle est mentionnée dans les textes antiques, il est temps de revenir sur la place qu’occupe l’antiquité dans le récit historique marocain. Le professeur Hamid Arraichi, s’y est justement penché dans ses travaux de thèse «Le Maroc antique dans l’historiographie contemporaine (1912-1985)». Il nous explique pourquoi cette période est si clivante dans la recherche contemporaine, la place des Maures autochtones face à l’imposante présence romaine, et l’héritage d’une période qui fait, malgré les siècles passés, toujours partie de notre identité…
Débutons, si vous le permettez, par l’actualité et cette annonce faite au début de ce mois de la découverte, en aval du site de Chellah, d’une vaste structure urbaine datant des touts premiers siècles de l’ère chrétienne. Quelles sont vos premières impressions à ce sujet ?
Pour être honnête, je dois préciser en préambule que l’essentiel de mon travail repose sur l’étude et l’analyse des bibliographies et que je me suis spécialisé dans l’historiographie contemporaine relative au Maroc antique. De plus, la découverte que vous évoquez étant récente, nous ne sommes pas encore en mesure d’en dévoiler toute l’étendue. Toutefois, nul ne doute de l’importance des découvertes archéologiques faites récemment au Maroc, aux abords immédiats de Chellah, l’ancienne Sala Colonia comme en faisaient mention des auteurs gréco-latins de l’antiquité, qui viennent s’ajouter à celles mises au jour, à l’intérieur cette fois-ci de l’enceinte de la cité mérinide, il y a un peu plus d’un siècle déjà. Les fouilles sont actuellement en cours et nous pourrons certainement tirer un bilan plus global au fur et à mesure des révélations qu’elles promettent à l’avenir.
Ce site semble être celui que les textes anciens nommaient déjà Sala, ou Sala Colonia pour les Romains. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
Il est en effet cité par de nombreux auteurs de l’antiquité et il ne faut pas le confondre avec la ville moderne de Salé, située sur l’autre rive du Bouregreg. Pour retracer un peu son histoire, il faut rappeler que ce site antique a été localisé, dès la fin du XIXème siècle, à l’emplacement de l’actuelle Chellah par le diplomate et archéologue français Joseph Charles Tissot qui le cite dans sa «Géographie comparée de la Maurétanie Tingitane» (1878). Par la suite, il fournit des vestiges archéologiques et des documents épigraphiques, consécutives aux fouilles préliminaires effectuées pendant la première moitié du XXème siècle, et qui ont été reprises ultérieurement, à l’intérieur et à l’extérieur de l’enceinte mérinide, depuis la fin des années 1950 et les débuts des années 1960. Des fouilles ont bien été menées par la suite mais d’une manière intermittente. Parmi les plus fameux vestiges découverts, se trouve, comme un témoin de son temps, le fameux document épigraphique «Décret des décurions» publié, traduit et commenté par l’archéologue Stéphane Gsell et l’historien Jérôme Carcopino. Il s’agit d’un décret émis par les décurions, c’est à dire des officiers de l’armée romaine, en hommage au préfet de la ville. Ce document, n’a cessé, depuis, de susciter un débat intense au sein de la communauté des chercheurs dont certains laissaient déjà présager le rôle exceptionnel qu’aurait joué la cité, ses abords immédiats, et son éventuel «port fluvial», dans l’histoire du Maroc antique en général, et celle de la Maurétanie Tingitane en particulier. D’autant plus que l’histoire de la cité de Sala et de ses alentours, et les problématiques qu’elle n’a cessé de soulever résume les principaux sujets faisant encore débat dans l’histoire du Maroc romain : à savoir, la question des frontières, des fortifications et le problème des rapports entretenus entre les populations autochtones et celles venues avec la «colonisation» romaine.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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