La logique de l’urbanisation et la tendance de l’humanité vers la ville ont réduit la campagne en une réserve de nourriture sans plus. Quand on pense à la campagne, à la montagne ou au désert, ils sont pour l’humanité moderne un décor touristique ou une source de nourriture. L’habitant de la campagne, les paysans ou les montagnards ne représentent plus pour la civilisation actuelle une source d’inspiration ou un lieu de ressourcement intellectuel. L’urbain, le citadin d’aujourd’hui regarde le paysan avec beaucoup de condescendance, peut se lamenter sur sa situation matérielle et économique, mais ne se pose jamais la question sur sa culture.
Les habitants des campagnes, des montagnes ou des déserts ne sont pas uniquement une force de travail, mais ils sont aussi et surtout des producteurs de sens. Si la ville est ce qu’elle est aujourd’hui, sur le plan de l’urbanisme, de l’art culinaire, du tissage, de l’ébénisterie, de la céramique, c’est grâce à la campagne. La ville a tendance à oublier ses origines primitives ou à les refouler.
C’est bien cette situation que Hammad Berrada, Fassi de «souche» (je sais que le mot ne veut plus rien dire) a refusé d’admettre. Dans une balade à Fès, son lieu de naissance où il est revenu rassembler ses souvenirs dans un livre, il découvre, tel un touriste, une poterie barbare (dans le sens où elle sortait du commun), dans une ambiance faite de zellige, de brillance et de céramique. Tout comme j’aurai pu le faire, il se demande sur l’origine de cette poterie. On lui répond le Rif. Mais le Rif est immense, difficile d’accès par ses reliefs et surtout ses coutumes, ses traditions et sa langue.
H. Berrada n’hésite pas, il s’en va à la recherche du Graal. Dans ce périple son seul soutien dans ce long voyage et sa clé pour accéder au monde féminin rifain, fut son épouse la disparue Lalla Khadija.
Il découvre non pas une poterie, mais une grande et millénaire tradition. De formation artistique plastique, il fut saisi par la beauté et la complexité qui se cache derrière la simplicité des formes et des gestes. Il découvre que la poterie féminine au Maroc est l’œuvre des femmes seules, contrairement à la poterie citadine où elle est une spécialité masculine.
Il met la main dans la pâte, sillonne le Maroc, analyse les matières et les manières, pénètre les secrets du métier de ces femmes oubliées. Il collectionne tout sur son passage, se documente, photographie, prend des notes. Parallèlement, il achetait des poteries là où il passait. Tout ce travail a été consigné dans un beau et savant livre publié en 2002 dans une très belle édition. 570 pièces de poterie féminine du Maroc de différentes dimensions, gîtent à ce jour dans les coins et recoins de sa maison et le second livre attend toujours d’être publié.
Aujourd’hui que les autorités culturelles mènent une bataille pour protéger le patrimoine matériel et immatériel de la piraterie, les œuvres des femmes du Maroc trouveront-elles un mécène pour les acquérir et les offrir à un musée national ?
Par Moulim El Aroussi