Le corps est l’enveloppe extérieur de l’âme, ou la robe matérielle qui couvre l’être des humains. S’habiller ou habiter proviennent de la même racine latine : abito. En arabe, que la femme s’habille d’un homme ou un homme d’une femme, cela veut dire qu’ils sont rentrés en relation sans spécification de la nature du rapport. L’habit est un habitat dans les sens où l’être humain, et après avoir accédé à un niveau qui le distinguait de l’animal, a choisi d’habiter et de s’habiller. Ces deux gestes font partie des œuvres que l’humain lègue à la postérité et qui constituent une marque de distinction : se distinguer de l’animal et donc accéder à l’humanité ; et se distinguer de l’autre et donc accéder à la différence culturelle et spirituelle. Le costume, et l’apparat, font partie des éléments fondamentaux des différents cultes chez les peuples.
Ce n’est donc pas étonnant si c’est à travers l’architecture et le costume qu’on évalue la grandeur des civilisations. Les civilisations chinoises, perses, babyloniennes, égyptiennes, romaines, africaines, arabes, nous éblouissent toujours par le faste des costumes et monuments. Mais si le construit résiste au temps, ce n’est souvent pas le cas pour le costume. Tout ce que nous savons des civilisations citées nous vient des peintures et des dessins que les artistes ont pu consigner sur des matériaux plus ou moins résistants. En l’absence de documents qui attestent de la grandeur de tel ou tel peuple, les récits restent vides et sans fondements.C’est le cas pour le costume traditionnel marocain. Que de discours sur ses origines, sur sa splendeur et sur sa richesse, mais aucun document n’est là pour nous le dire. Des designers de la mode piochent dans des livres, indisponibles pour le grand public, mais aucune source n’est citée, ni document mis au jour. Heureusement qu’une dame, dans le silence le plus absolu, s’est mise à la tâche dans le seul but de restituer ce patrimoine, de le présenter honorablement et de laisser à la postérité une partie de son patrimoine qui risque d’être perdu à jamais. Il s’agit de Anissa Berrada, que seuls quelques spécialistes connaissent. Cette dame, artiste, n’a pas cédé à la facilité qui laisse généralement les spécialistes se limiter au costume traditionnel des grandes cités impériales. Elle a, au prix de plusieurs années de recherche, répertorié 36 régions et reconstitué les costumes avec les parues, les coiffures et les ambiances. À travers son laborieux travail, on apprend que l’élégance et le raffinement ne sont pas le seul apanage des cités, elles existent aussi dans les campagnes et les villages les plus reculés ; que les costumes des Marocains juifs ne sont pas identiques partout au Maroc, ils étaient teintés de la localité où ils vivaient. Que la mariée d’Aït Hdidou du Haut Atlas n’a rien à envier à celle de Tétouan ou de Fès.
36 costumes montées sur des poupées en céramique, bijoutées et maquillées à la manière traditionnelle, gîtent dans les salons de Madame Berrada, en attendant qu’un mécène vienne les acquérir et les offrir à un musée pour les mettre à la disposition du public et des chercheurs en la matière.
Par Moulim El Aroussi