Entre 1918 et 1930, deux académiciens français, les frères Tharaud, passent au scalpel la petite bourgeoisie marocaine qu’ils observaient au fil des années. Au-delà des traits racistes qui caractérisent la littérature de l’époque, les textes des frères Tharaud sont mieux qu’anecdotiques : piquants ! Morceaux choisis.
Le Fassi est ostentatoire : il aime étaler sa richesse. Rien ne la montre mieux qu’une belle demeure. Son premier soin, s’il devient riche, est de se conformer au proverbe qui dit : la première chose qu’on doit posséder c’est une maison, et c’est aussi la dernière qu’on doit vendre, car la maison est le tombeau d’ici-bas. Est-il déjà propriétaire, il achète la maison voisine, ou celle qui fait face à la sienne, il jette des poutres par-dessus la rue, et pour ce nouveau logis épouse une femme de plus. Se met-il à construire, il s’y donne avec d’autant plus d’entrain que pendant qu’on bâtit on ne meurt jamais, parait-il.
Le dehors et le dedans
Beaucoup de luxe, aucune invention. En architecture, comme en tout, le Fassi suit la tradition. Trop paresseux pour conserver, trop mal doué pour inventer, ce qu’il fait aujourd’hui est tout pareil à ce qu’il faisait hier. Une pensée, toujours la même, presque analogue à un analogue, refait toujours la même chose en cet endroit du monde. À Fès, on a fait le miracle de supprimer le temps. Et cela donne à cette ville un caractère unique : unique peut-être dans l’univers, et certainement dans la Méditerranée. Au-dehors, rien ne laisse deviner la somptuosité du logis. Tandis que le propriétaire se présente toujours sous l’aspect le plus séduisant, toute politesse et bonne grâce, sa maison au contraire n’offre jamais à la rue que son côté rugueux et sombre.
Editing Zamane
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