Henri Matisse s’inscrit dans la tradition occidentale des peintres qui voyagent afin de trouver le merveilleux pour rafraîchir leur peinture. Beaucoup d’artistes et écrivains avaient, avant lui, choisi Tanger comme lieu de ressourcement. La fascinante ville du Détroit comme on se plait à l’appeler recelait pour ses créateurs, venus du nord de la terre, un secret indicible.
C’est le lieu où la mythologie a placé les Colonnes d’Hercule et dans ce lieu précis, où les voyageurs et les navigateurs de l’Antiquité (Romains, Grecs, Phéniciens…) tenaient les brides de leurs pirogues, ralentissaient leurs courses et commençaient à hésiter à aller plus loin dans la mer des ténèbres. Pour dire que la ville était et est toujours mystérieuse.
Mystérieuse, mais ouverte, voilà le paradoxe. Quand le Maroc était fermé aux étrangers, surtout vers la fin du XVIIIème et début du XIXème siècle, Tanger était le lieu qui les recevait, les faisait patienter pour attendre l’autorisation du Palais. S’est ainsi créée une vie cosmopolite et la ville devient soudain une cité internationale. Les charmes et les mystères se multiplièrent : le passage de Delacroix, et à sa suite un nombre important de peintres orientalistes, d’écrivains, d’aventuriers, de réfugiés politiques…
C’est dans ce cadre que Henri Matisse ne put résister à l’appel de Tanger. Il est arrivé à un moment où la peinture qui s’intéressait à l’autre monde, le monde lointain, exotique, voire merveilleux, était en grande majorité orientaliste. Elle s’occupait à collecter les anecdotes, les paysages naturels et urbains, les visages typiques (selon une certaine vision). Un orientalisme tardif, désaxé par le développement rapide de la photographie, il tendait lentement mais surement vers sa fin certaine.
En Europe, l’art était déjà dans une tourmente particulière. Nous sommes à l’époque de la révolution cubiste, de la remise en cause totale de l’abstraction et surtout à la veille du grand chamboulement Dada. Qu’est-il venu chercher alors ? Les sujets exotiques n’étaient plus à la mode, le Maroc en tant que sujet de la peinture semblait avoir été épuisé. Il arrive, il regarde, mais il ne peut s’empêcher de sortir son attirail et de peindre.
Un regard doux, modeste et dénué d’arrogance même technique et intellectuelle. On dirait qu’il s’est mis à reprendre la peinture après un long moment d’arrêt. Cela émane de la fraîcheur de ses couleurs et de la douceur de la saisie de ses sujets.
Un regard unique. Nous avons beaucoup à apprendre de cette simplicité, voire cette complicité du regard sur nous-mêmes et sur notre culture. C’est ce qui a sans doute motivé l’Institut Académique des Arts, pour avoir organisé un colloque dédié au peintre du 26 au 27 octobre 2023 à Rabat au siège de l’Académie du Royaume du Maroc.
«Un tournant et des résonnances», tel était le titre du colloque où, pendant deux jours, des intervenants ont pu interroger l’œuvre singulière de l’artiste, surtout dans ce qu’elle a pu apporter au regard artistique au Maroc.
Par Moulim El Aroussi