Mehdi Bennouna est l’auteur de «Héros sans gloire, échec d’une révolution 1963-1973». 21 ans après sa publication, le fils de Mohamed Bennouna, ancien résistant et figure de la branche armée qui a tenté de renverser le régime de Hassan II en 1973, nous explique les détails de cette opération, tournant de l’histoire contemporaine du Maroc. Celui qui est aussi anthropologue, et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, avait alors mené un long travail d’enquête qui, pour la première fois, avait jeté quelques lumières sur ce mystérieux épisode. Comment une mouvance clandestine de l’opposition marocaine a tenté une révolution au Maroc ? Qui l’a aidé dans cette ambitieuse opération ? Pourquoi les évènements de Moulay Bouazza se sont-ils soldés par un échec retentissant ? Quelques questions dont les réponses ne suffisent pas encore à lever le voile sur l’épisode le plus intrigant de l’histoire récente du Maroc…
Dans votre livre, vous remontez à l’année 1963 pour expliquer les évènements de 1973. Pourquoi ?
J’ai fait ce choix par ce que j’estime que les évènements de 1973 s’inscrivent dans une dynamique historique qui se nourrit d’abord des prémices de l’indépendance et surtout des objectifs et des espoirs de ceux qui ont mené cette lutte. Parmi eux, certains ont été frustrés par les conditions d’accès du Maroc à l’indépendance tout en sachant que plusieurs de ces acteurs s’étaient aussi inscrits dans une dynamique maghrébine, et pas seulement marocaine. Il faut donc bien cerner cette période post indépendance pour comprendre les évolutions politiques des uns et des autres. Pour schématiser, nous pouvons distinguer deux grands courants issus de cette période. Ceux que l’on appelle les anciens résistants du mouvement national et de jeunes loups très sensibles aux idéologies politiques. Pour les premiers, une partie s’est sentie brimé dans l’épilogue de leur lutte anticoloniale tout en assistant, en 1962 à l’indépendance de l’Algérie où se trouvent leurs camarades de route. Pour les seconds, dont la plupart sont des membres de l’UNFP (Union Nationale des Forces Populaires), l’année 1963 est en effet charnière car malgré leur victoire aux élections législatives du mois de mai, ils sont brutalement et massivement réprimés en voyant leurs leaders arrêtés. Dès lors, pour cette génération de jeunes militants, germe l’idée que le recours à la violence pouvait être désormais envisagée.
Plus tard, au début des années 1970, la monarchie est secouée par deux tentatives de coups d’état menés par l’armée (1971, puis 1972). Quels liens ces épisodes ont-ils avec les évènements de 1973 ?
À cette période, le Maroc vit une impasse politique. Les positions politiques semblent inconciliables entre le régime et son opposition ce qui laisse le champ libre à des initiatives tels que celles de l’armée tout en encourageant la radicalité de la branche armée de l’opposition. Il est essentiel de différencier les différents acteurs et leurs intérêts. Tandim (ou Tanzim, c’est-à-dire «Organisation») est la branche armée affiliée à l’UNFP dont le but est d’accélérer le processus historique en offrant à la structure politique un champ de manœuvre beaucoup plus vaste, car l’essentiel des leaders du parti sont alors en prison. L’action armée, pensaient-ils, était la seule option pour débloquer l’impasse politique. Les tentatives de renversement militaires suivent une autre logique. Nous sommes là dans une démarche assez classique d’une armée qui se veut être un sauveur de la patrie en proie à un régime déviant et en même temps vouloir sauver de l’incurie les partis politiques. Ce qui vient s’ajouter à cela dans le cadre de l’armée marocaine est que les FAR (Forces Armées Royales) des années 1970 sont un mélange entreles anciens cadres de l’armée coloniale et les résistants qui ont réintégré les forces armées. Les premiers s’efforcent de s’extirper de leur passé colonial et de donner des gages de leur patriotisme tandis que les chez les seconds, une partie continue d’avoir des sympathies pour les causes qui les ont amenés à prendre les armes contre l’occupant en faveur de la liberté.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°156