Ouverture, libéralisation, compromis, apaisement des tensions et transition démographique. Les années 1990 ont-elles porté le changement le plus spectaculaire de l’histoire récente du Maroc ? Une question qui concerne quasiment tous les secteurs du pays, qui entame à cette occasion un virage crucial qui va forger son identité d’aujourd’hui. C’est ce que pense Mohamed Tozy, sociologue et politologue, qui retrace le fil de cette métamorphose autant politique, économique, que socioculturelle…
À quoi pensez-vous en premier à l’évocation des années 1990 au Maroc ?
À titre personnel, c’était pour moi le moment des grands projets, puisqu’il fallait profiter des ouvertures inédites offertes à la société civile. C’était donc l’occasion de faire avancer une ONG qui œuvre en faveur du développement dans le royaume. Avant les années 1990, ce genre d’entreprise était non seulement étroitement surveillé par les autorités locales, mais aussi privé de soutien financier depuis l’étranger. Mais les choses ont donc rapidement changé et nous avons pu, plus aisément qu’auparavant, travailler sur le désenclavement de villages isolés, ainsi que leur électrisation. Grâce à un soutien financier conséquent en provenance de l’agence de développement autrichienne, nous avons pu par exemple construire les premières petites centrales hydrauliques en milieu rural. Ces initiatives inédites par rapport à ce qu’il se faisait auparavant nous font prendre conscience d’une réalité violente. Avec les années 1990, nous nous rendons compte à quel point le Maroc, surtout son monde rural, est d’une extrême pauvreté. Une situation devenue désormais, aux yeux des Marocains, absolument intolérable.
Quelle était cette situation ?
Disons qu’avec l’ouverture, nous prenons conscience du retard pris dans le développement du pays, particulièrement dans les campagnes. D’ailleurs, je me souviens qu’au milieu de la décennie, Abdelaziz Meziane Belfkih, alors ministre de l’Agriculture, a engagé une étude pour l’élaboration d’une stratégie de développement pour l’horizon 2020. J’y ai participé aux côtés de plusieurs collègues, dont certains n’étaient pas franchement réputés être proche du pouvoir. La sincérité de cette démarche n’est pas à mettre en doute car il nous était demandé de travailler sans tabou. Nous avions organisé des rencontres avec des responsables de la Banque Mondiale, pour tenter de définir un cap concernant l’autosuffisance alimentaire et choisir entre miser sur le marché pour s’approvisionner en céréales ou alors sur les ressources locales, option que nous avions d’ailleurs choisie. À vrai dire, nous étions à ce moment-là en train de sortir de la crise économique et du PAS (Plan d’Ajustement Structurel) qui nous avait été imposé une décennie plus tôt. Le Maroc commençait donc à retrouver l’initiative dans sa politique publique. Une situation qui participe d’ailleurs au sentiment d’ouverture et aussi d’une certaine confiance retrouvée, bien que la tâche en matière de développement paraissait immense.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N°150