On peut dire, avec une forte dose de certitude, que l’islam n’a jamais été autant sur la sellette qu’en ce premier quart de 21ème siècle presque révolu. Si la fin de l’histoire a été décrétée alors que s’achevait le siècle précédent, et ce, suite à la chute du mur de Berlin, il apparaît que le déroulé du siècle en cours, se fera autour d’une grande polémique à propos de l’islam. Si ce n’est pas la facette d’une drôle de renaissance de l’histoire, au sens grave du terme, c’est du moins les prémices d’un nouvel ordre mondial qui se profile à l’horizon, au rythme d’un quotidien anxiogène.
Le factuel des dernières années le confirme. Depuis la décennie sanglante en Algérie, 1992-2002, sur fond de guerre civile où les islamistes en armes jouaient un rôle central, jusqu’aux dernières attaques terroristes à Paris, le 13 et 18 novembre 2015 ; en passant par les avions d’Al Qaïda jetés sur les grattes-ciel de New York, le 11 septembre 2001 ; et les actions kamikazes de Casablanca, le 16 mai 2003 ; l’islam n’a cessé d’être au centre d’un débat universel, à tombeaux ouverts, et d’un jeu diplomatique totalement hermétique.
Suite à cela, nous sommes entrés dans le cycle infernal d’un printemps arabe torride, où les islamistes ont changé la kalache d’épaule pour prendre le pouvoir par les urnes en Egypte pour un moment seulement. Un scénario qu’ils ont amélioré pour mieux le reproduire en Tunisie, dans la durée, en vain. En Irak et en Syrie, la chute des régimes en place et l’impossible avènement de deux ersatz de pouvoirs de remplacement, à la fois islamiste, démocratique et moderniste, s’est terminé par un chaos. Les deux seules cerises sur le gâteau ont été les têtes de Saddam et de Kadhafi, pendaison médiatisée pour le premier et lynchage public pour le second. Du côté du Yémen, l’abcès est loin d’être crevé, mais il fait trembler toute la péninsule arabique et ses monarchies pétrolières. Quant au bourbier syrien, il devient le nœud gordien de toutes les contradictions et de toutes les motivations, généralement non-dites, mais tellement évidentes, des puissances occidentales intervenantes.
Dans tous ces conflits, aux quatre coins de la planète, l’islam apparaît comme la cause et la conséquence, le sujet et l’objet, la source officielle et le faire-valoir formel, pour valider, en sous-main, des intérêts réels et avouables, sans aucune gêne, et des entreprises militaires de couverture, malgré leur convergence. Toutes ces guerres d’un autre genre, tous ces crimes abjects, sont imputés à l’islam. C’est au nom de cet islam archaïque et réfractaire à toute évolution, soutient-on dans les milieux doctes d’ici et d’ailleurs, que se proclament et agissent les boutefeux de la pire espèce, les assassins de sang-froid et les repris de justice peu recommendables. Tout est donc dû au livre saint de cet islam qui ne serait qu’un recueil belliqueux et guerrier, s’adressant aux instincts refoulés d’une humanité inculte, pour que sévissent la haine et la violence. Tirer sur son prochain qui ne pense pas et ne vit pas comme nous, qu’il soit mauvais musulman ou mécréant et dont le sang devient ainsi licite, est une obligation qui rapproche un peu plus le meurtrier fanatisé du paradis. Cet éclectisme, aussi caricatural que criminel, constitue matière à bourrage de crâne et à intoxication des esprits pour des apprentis jihadistes incultes. Ils le prennent pour argent comptant et partent à l’accomplissement de leurs forfaits la fleur au fusil et la promesse d’un au-delà paradisiaque en poche. Exit donc un islam de tolérance à l’égard d’autres croyances, particulièrement les religions monothéistes dont nous reconnaissons tous les envoyés d’un Dieu unique. Prendre comme référence un islam de paix, qui prône la recherche d’un juste milieu, est parfois reçu comme un propos ringard, par trop officiel et irrecevable. Car, pense-t-on, la « vérité » est ailleurs. Elle est dans cet islam fourvoyé qui ne s’exprime pas que par l’intégrisme terroriste. Il se distille et trouve aussi son pendant dans quelques écrits.
Des plumes permissives et libertines, au nom du droit intangible de la liberté d’expression et de la presse, portent le risque inhérent de réactions liberticides. Du moins, en interne. Pour l’extérieur, cette partition est une douce musique à l’oreille attentive de la droite politique. Comme quoi, les extrêmes finissent toujours par se rencontrer. La droite française, à titre d’exemple, représentée par le clan Le Pen, estime que l’islam est porteur d’un gène de dangerosité intrinsèque et exportable. Il est donc globalement rejetable, sans même ouvrir le Coran pour en savoir plus et sans se référer à son histoire, à ses penseurs et à ses savants transmetteurs de la pensée grecque. Balayé tout cela, pour que l’islam ne soit qu’obscurantisme et va-t-en guerre à forte terreur religieuse.
De la même manière, il est regrettable que l’on n’insiste pas assez sur le fait majeur que les auteurs des attentats de Paris sont des produits de la société franco-belge. Ils y sont nés et y ont grandis. Ceci pour dire que si le mal planétaire du terrorisme intégriste prend ses sources en Orient, il est également à combattre dans les pays de résidence et de recrutement, par la prévoyance sociale et pas seulement la parade sécuritaire. Autrement dit, en interne.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION