Lors d’une de ses sorties devenues, depuis qu’il a quitté le gouvernement, plus folkloriques que jamais, Benkirane a demandé aux Marocains de ne pas se marier avec des étrangères. Il s’adressait aux hommes bien entendu. Par ailleurs, il croyait que tous les Marocains se bousculaient devant leurs écrans pour suivre ses logorrhées ininterrompues. On est curieux de s’interroger pourquoi demandait-il cela aux Marocains, hommes, qui ont choisi de l’écouter ? Il affirme que se marier avec des étrangères risque de laisser nos filles sans maris. Ce souci pour l’avenir sexuel des filles de la communauté, fut exprimé devant un panel de militantes de son parti, celles-là même que Benkirane avait qualifiées auparavant dans un discours resté dans les mémoires, de lustres ou «tria» selon sa propre expression. Il avait affirmé que la femme était un lustre qui maintenait la maison éclairée pour le mari à son retour du travail.
Mais, sait-il que dans les mariages mixtes (entre Marocains et étrangers), la balance penche surtout pour les femmes ? Le nombre de Marocaines mariées à des étrangers, des Européens (croyants ou mécréants, chrétiens, juifs, sans religion et autres), est beaucoup plus important que le nombre d’hommes dans la même situation. Sait-il, par ailleurs, pourquoi ce nombre est-il si important ? Les filles, en se mariant avec un étranger, européen surtout, et mis à part le fait qu’elles grossissent les rangs de musulmans sur le papier, s’assurent au moins de deux choses : la sécurité matérielle que son gouvernement sur deux mandats n’a pu assurer aux citoyens de son pays, et accéder à un respect et une liberté que lui, ainsi que les militants et les militantes de son parti, font tout leur possible pour les en priver.
Les conservateurs, tant au Maroc qu’ailleurs, persistent à croire que les filles marocaines n’aspirent qu’à se marier, se conformant ainsi à une tradition patriarcale préconisant leur protection. Ils négligent les véritables pulsations de la société, celles qui transcendent les prêches des mosquées pour s’exprimer à travers une multitude de formes culturelles considérées souvent comme marginales. Il est temps de prêter attention à ces expressions artistiques, que ce soit à travers la littérature, le cinéma, le théâtre ou l’humour, qui témoignent du fait que l’époque où les femmes cherchaient exclusivement la protection d’un homme est révolue, et ce, sous nos yeux.
L’aspect le plus révélateur de cette question réside sans aucun doute dans le phénomène du divorce. Ne serait-il pas urgent d’explorer les causes sous-jacentes de cette tendance croissante qui s’implante peu à peu dans notre société et semble être à la hausse ? De nombreuses femmes se marient, font un ou deux enfants, puis demandent le divorce. Pourquoi ? Pour retrouver leur liberté, répondent la plupart d’entre elles. Et cette liberté, pour quoi faire ? Pour être en paix, affirment-elles.
Dans l’histoire, l’homme de la conception patriarcale est appelé à évoluer, à se transformer afin d’éviter de se retrouver un jour confronté à l’obsolescence. La femme n’est pas réduite à un simple objet sexuel ou à une machine à perpétuer les générations. Les conservateurs, qu’ils soient hommes ou femmes, semblent ignorer cela, d’où leur perception figée et immuable du monde.
Pendant que la femme réclame le recouvrement de son statut d’être humain à part entière, le conservateur demeure attaché à une conception où la femme était considérée comme une possession, destinée d’abord à son plaisir personnel avant d’être utilisée comme un instrument pour assurer sa descendance. Le remaniement de la Moudawana suscite des craintes quant à l’autonomie de la femme sur son destin et, par extension, sur son propre corps. Selon la tradition patriarcale, dont le fiqh ancien constitue le socle philosophique, le corps de la femme est considéré comme habité par le diable. Entendez bien le désir,
c’est cela qui fait peur. Il faut donc l’encercler avec des lois restrictives.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane