Mohamed Elyazghi est l’un des derniers monuments de la vie politique marocaine depuis l’indépendance. À 86 ans, l’ancien leader du parti socialiste nous reçoit chez lui à Rabat pour passer en revue l’essentiel de son riche parcours. L’esprit vif et alerte, il nous livre ses impressions sur l’actualité du Maroc et du monde en général. Attentif aux évolutions du dossier du Sahara, dont il s’est saisi dès la fin des années 1950, avant qu’il ne devienne une affaire d’état, Mohamed Elyazghi évoque également la cause palestinienne qu’il chérit tant. Pour autant, il met en garde contre les ingérences étrangères d’un sujet encore brûlant d’actualité. L’ancien premier secrétaire de l’USFP remonte dans ses souvenirs d’adolescent pour nous raconter comment il a connu Mehdi Ben Barka, un épisode qui va changer sa vie. Il revient également sur ses longues années d’opposition à Hassan II qu’il présente ici dans toute sa complexité. Complots, coups d’état, colis piégés, séjours en prison, élections et négociations sont au menu de ses relations avec l’ancien roi du Maroc. Enfin, Mohamed Elyazghi nous plonge dans les coulisses du gouvernement d’alternance, ses différends avec Abderrahmane Youssoufi, le cas Driss Basri et confie être tenté par une nouvelle publication de ses mémoires. En attendant, plongez dans la vie fascinante d’un témoin et acteur privilégié de l’Histoire contemporaine du Maroc…
Monsieur Elyazghi, comment allez-vous ?
Pour le moment, je vais bien merci. Pour un homme de 86 ans, je peux dire que je ne me porte pas si mal. Je continue à m’intéresser au monde qui m’entoure, à l’actualité sociale et politique du Maroc et celle de l’étranger.
L’une des principales actualités concerne le dossier du Sahara, qui connaît ces dernières années des avancées considérables. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
Bien entendu, ces évolutions sont importantes et positives pour le Maroc. Mais je considère toujours que le principal tournant de ce dossier est le retour de Seguia El Hamra et Oued Eddahab sous la souveraineté du royaume. Souvenons-nous qu’à cette époque, suite à la Marche Verte (novembre 1975), le Maroc n’avait le soutien de personne, y compris des pays occidentaux et pourtant il a relevé le défi. Mais la réussite de ce projet est en partie du à la situation de l’Espagne, avec à sa tête un Franco déjà très affaibli par la maladie. Dans le cas inverse, l’Histoire aurait certainement été tout autre et Madrid aurait probablement réagit avec plus de vigueur. Aujourd’hui, l’alignement de plusieurs puissances, à leur tête l’Espagne et les états-Unis, est évidement un atout de poids. Mais le Sahara marocain est d’abord une œuvre nationale grâce à l’audacieuse idée de mener une Marche pour récupérer les territoires alors sous emprise coloniale.
Il n’est plus aujourd’hui question de référendum d’auto-détermination mais cette option avait été acceptée par Hassan II en 1981. Vous vous étiez, à l’époque, opposé à cette idée et vous en aviez payé le prix en séjournant en prison. Avec le recul, considérez-vous que votre position allait dans le sens de l’Histoire ?
Nous pensions que l’enjeu principal au Sahara était l’intégration naturelle des populations des provinces du sud. Et s’il n’est plus aujourd’hui question du référendum, c’est que l’unité avec ces populations est désormais aboutie et en cela, c’était en effet, le sens de l’Histoire. Ce processus d’adhésion est, pour moi, plus important que les alliances extérieures ou les actions militaires. Mais à l’époque que vous évoquez, nous avions la crainte de perdre le référendum et ainsi compromettre la souveraineté marocaine sur le Sahara. Un risque accru par l’immensité de ce territoire et sa faible densité. Nous pensions que le référendum pourrait briser l’unité alors que HassanII, estimait quant à lui qu’il était plus judicieux d’aller dans le sens de ce que souhaitait l’opinion internationale.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°160