Suite à une proposition de loi incriminant la «normalisation» avec Israël, le débat autour de cet épineux sujet reprend de plus belle. Mais qu’est-ce finalement une normalisation et comment dépassionner une question mal engagée ?
« Moi, si j’étais eux (les pays arabes), je reconnaîtrais Israël et je l’intégrerais dans la Ligue arabe. Car de toute façon, c’est un état qui ne peut pas disparaître ». A croire que les paroles de Hassan II (extraites de Mémoire d’un roi) n’inspirent pas certains députés marocains. Fin août dernier, deux propositions de lois adoubées par pas moins de cinq formations politiques majeures suscitent une vive polémique. Ces textes recommandent de sanctionner d’une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende allant de 100 000 à un 1 million de dirhams, tout citoyen marocain qui contribue à la normalisation avec Israël. Il n’est pas ici question que d’économie, mais bien de bannir tout contact avec une personne détenant un passeport israélien. La confirmation se précise avec la proposition de peines dites «accessoires», comme «la suspension de l’exercice de certains droits civiques, civils ou de famille» ou «la perte ou la suspension du droit aux pensions servies par l’état et les établissements publics», et enfin «la confiscation partielle des biens appartenant au condamné et la dissolution d’une personne juridique». Une prise de position «idéologique» qui semble réunir les partis au pouvoir (PJD, PPS) à ceux de l’opposition (Istiqlal, USFP et PAM, ce denier ayant fait marche arrière). Les textes en question préconisent donc d’appliquer aux citoyens marocains des directives anti-normalisation. Mais quel est le sens de ce terme qui abonde dans la rhétorique politique ? Peut-il s’appliquer à une échelle individuelle ? Deux questions qui sont au cœur de la polémique actuelle. à l’échelle des états, la normalisation avec, par exemple, Israël passerait d’abord et obligatoirement par une reconnaissance de l’état hébreu. Il s’en suivrait l’ouverture d’ambassades respectives en vue d’un échange diplomatique classique. Des délégations des deux pays se rendraient régulièrement visite pour parachever des contrats économiques ou discuter des questions diplomatiques et politiques. Pour rappel, ce cas de figure n’est actuellement pas en vigueur au Maroc. Un rapprochement entre deux pays ne concerne en théorie que les états. Pourquoi donc vouloir l’appliquer à l’échelle des individus ? Que faire de la communauté juive marocaine qui, naturellement, pourrait avoir de la famille en Israël ? Un cas de figure qui concerne également des échanges culturels et artistiques ou simplement des visites touristiques. Doit-on fermer nos frontières aux Israéliens et interdire aux Marocains la liberté de circuler à travers le monde ? La question de la normalisation se heurte ici à la complexité du conflit israélo-palestinien. Il n’est pas évident qu’en ignorant Israël, le Maroc aide le peuple palestinien, en laissant ce dernier en tête-à-tête avec une entité qui lui est hostile. Et surtout, comment faire la paix et restaurer le dialogue en commençant par rejeter ce dernier. Nos politiques manquent-ils de bon sens ou surfent-ils sur une dangereuse vague populiste ?
Par Sami Lakmahri et Reda Mouhsine