À sa manière, l’exil de Ben Youssef et de sa suite ont eu une importance extrême, non seulement pour la libération du pays, mais aussi pour la construction d’une certaine identité marocaine.
Farid Belkahia me racontait que sa première prise de conscience politique s’était manifestée à Marrakech, quand il avait vu les soldats français tirer à balles réelles sur la population qui contestait contre la déposition et l’exil de Mohammed V en 1953. C’était l’année où il allait produire son œuvre unique en son genre ; un autoportrait. L’autoportrait est l’équivalent, dans la pratique artistique, d’une affirmation de soi ; mais dans d’autres milieux, il s’agit de dire « je ». Or, dire « je » c’est se vanter, c’est s’affirmer contre la présence de l’autorité tribale, patriarcale et religieuse. L’œuvre de Farid Belkahia est, certes, l‘une des premières manifestations de la modernité artistique marocaine, mais elle est aussi, d’une certaine manière, une émancipation de l’individu vis-à-vis de l’autre : ici, l’autorité coloniale française. L’événement en lui-même, celui de la déposition et de la déportation du sultan, avait représenté un déclencheur de recouvrement de la personnalité marocaine, longtemps refoulée par la domination coloniale. L’imaginaire populaire s’est chargé d’amplifier l’événement et de mythifier Mohammed Ben Youssef. La société marocaine se transformait certes, mais elle n’avait pas encore acquis l’identité politique et géographique qu’elle allait avoir avec la déposition et l’exil du sultan. Les Marocains, dans leur grande majorité, n’avaient pas encore connu l’école moderne, ce qui pouvait leur permettre de suivre les informations à travers les médias de l’époque (journaux et radios). Comment alors toucher la majeure partie du peuple ? Par l’art et le mythe.
Par Moulim El Aroussi
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