En août 1912, le sultan Moulay Hafid abdique après l’instauration du Protectorat et semble ensuite disparaitre des radars. Mais les conditions de son abandon du trône, et de sa vie d’après, sont teintées d’intrigues et de mystères. Cet épisode révèle un homme complexe, troublé mais aussi lucide et ambitieux. Secrets d’un ex-sultan condamné, malgré lui, à l’oubli…
«Vous n’ignorez pas ce que nous avons éprouvé comme fatigue et comme soucis pendant ces dernier temps, à tel point que notre santé a été ébranlée et que nous nous sommes vu empêchés de remplir convenablement nos devoirs de souveraineté envers le peuple». Tel est l’argument exposé par le sultan Moulay Hafid dans sa lettre d’abdication datée du 11 aout 1912. Il ajoute dans le même document : «Nous avons choisi le repos pour notre personne et avons décidé de quitter le trône». Pourtant, le dernier souverain du Maroc indépendant ne connaitra plus jamais le repos. Il entame à cette date une existence radicalement différente de celle qu’il a menée au cœur du Makhzen ancestrale. Plus de cour fastueuse, de tribus soumises ou rebelles, de longues campagnes militaires, d’offrandes et d’adorations de sa personne. Désormais, son destin n’est plus entre ses mains. Il devient simple acteur d’intrigues où les desseins et les intérêts dépassent de loin son sort personnel. Moulay Hafid est ainsi ballotté entre son pays qui le maudit, et une guerre qui déchire les grandes puissances dont l’enjeu primitif est la survie des nations. L’homme qui n’avait jamais mis les pieds dans une barque se retrouve, du jour au lendemain, contraint de sillonner la Méditerranée. Espagne, Italie, Egypte, Moyen Orient et la péninsule arabique sont ainsi visités par l’ancien sultan. Durant son périple, qui prend quelques fois des allures de vagabondage, le chérif alaouite lie des amitiés, rarement sincères, mais il irrite au passage certains personnages puissants et influents. Il fréquente des hommes d’Etat, des rois, des francs-maçons, participe à des fêtes somptueuses dont il est invité d’honneur. Mais son destin instable le conduit aussi à séjourner de longs mois, seul ou presque, dans de sordides chambres d’hôtel bien loin de ses standards habituels. Lors de cette seconde partie inattendue de sa vie, Moulay Hafid s’habille à l’occidentale, fume des cigarettes, joue aux cartes, s’endette.
Par Sami Lakmahri
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