Du cinéma au football et à la philosophie, et d’Ilal Amam à 2M ou au CCM, Noureddine Saïl raconte «ses» vies antérieures avec la précision d’un chirurgien… ou d’un scénariste.
Depuis votre départ du CCM, votre actualité n’est plus vraiment médiatisée. Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis impliqué en ce moment dans trois activités bien précises. Je souhaite à travers mon travail que le Maroc puisse bénéficier de ses acquis artistiques et cinématographiques pour se développer davantage. L’objectif est de faire en sorte que le royaume devienne une place forte de la planète cinéma d’une façon irréversible. Une dynamique que j’ai enclenchée avec d’autres en invitant de plus en plus de cinéastes pour qu’ils réalisent leurs tournages chez nous. C’est le sens de ma présidence de la « Ouarzazate film commission », dont le rôle est d’attirer des investisseurs étrangers, seul levier capable de propulser vers l’avant le cinéma national. Le second axe que je souhaite développer est celui du partenariat avec le cinéma africain. Pour cela, la fondation du Festival du Cinéma Africain de Khouribga est d’une impérieuse nécessité. Nous estimons qu’il est primordial de jeter des ponts avec les cinématographies africaines, d’abord parce que le Maroc est profondément enraciné en Afrique, mais aussi parce que nous pouvons apporter notre contribution à un cinéma encore plus mal loti que le nôtre. C’est dans ce sens que le rendez-vous annuel de Khouribga est aussi un moment important pour notre pays. Nous pouvons dire aujourd’hui que ce Festival occupe une place de choix aux côtés de ceux de Ouagadougou ou de Carthage.
Enfin, étant membre du bureau exécutif d’Europa Cinéma, je suis engagé dans la défense totale du cinéma européen face au mastodonte américain au sein du marché du film en Europe. Europa Cinéma défend l’existence et la diffusion du film européen partout sur le vieux continent. Je considère d’ailleurs cette bataille comme un modèle de ce que pourrait devenir le cinéma africain lorsqu’il aura atteint sa masse critique et qu’il conviendra de le défendre face à différentes hégémonies.
Vos activités du moment semblent correspondre à ce que vous avez tenté de faire durant votre carrière, à savoir développer des projets à long terme. Vous sentez-vous parfois seul?
Seul, non, je ne crois pas. En revanche, je regrette que, dans notre monde dit arabe et africain, nous ne capitalisions pas sur nos acquis. Karl Marx évoque l’accumulation primitive du capital. Nous semblons aujourd’hui découvrir la globalisation alors que Marx explique bien que cette mondialisation est l’essence même du capitalisme, sa raison de vivre. Chez nous, nous n’accumulons malheureusement rien du tout. C’est comme si nous ne pouvions pas retrouver notre souffle, que nous nous fatiguions sur la durée. Combien d’expériences d’apparence positives ont été avortées dans notre pays ? Beaucoup trop à mon sens.
Il m’a fallu dix ans lors de mon expérience au CCM pour développer une structure de la production que j’espère irréversible. Aujourd’hui, la production nationale de films de fiction se situe entre 20 et 25 films par an. Evidemment, je suis conscient que ce flux peut tout à fait s’interrompre d’un jour à l’autre par quelque décision aussi malencontreuse qu’irresponsable, mais cette éventualité me semble aujourd’hui très faible. Dans ce cadre, et pour revenir à mon travail à long terme au sein du CCM, je voudrais rappeler, après la résolution du problème de la production nationale, le plan pour que le Maroc se dote de salles de cinéma, car les écrans sont à la base de tout dans ce domaine. La politique qui était la mienne est celle de l’essor des salles multiplexes. Je considère que c’est la façon la plus logique et la plus pragmatique de créer une offre variée face à une demande que nous devons créer. Lorsque vous possédez 14 écrans, vous pouvez formuler 14 offres, ce qui satisfera au final la plupart des demandes. Je n’invente rien en affirmant que l’offre crée la demande. En Europe et ailleurs, la formule des multiplexes est une totale réussite. Au Maroc, nous disposons actuellement d’une soixantaine d’écrans alors que pour accompagner notre propre production cinématographique nous devrions atteindre les 300 à 350 écrans. Si vous ne donnez pas au flux actuel de la production nationale un marché intérieur qui puisse l’absorber, nous subirons alors une sorte d’inflation dans la création qui finira nécessairement par se tarir, par manque d’espace commercial. Malheureusement, je constate que l’effort consacré à la création d’écrans est aujourd’hui quasi nul. Cela pourrait coûter cher à la production marocaine.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N° 64