Les siècles obscurs ne sont pas une réalité historique mais littéraire. C’est un concept, une expression, qui ont été créés par des chercheurs pour qualifier leur incapacité à suivre et comprendre l’évolution du Maghreb à un moment donné de son histoire. Ils ont perdu le curseur.
Il y a donc un récit colonial qui a devancé le récit national. Autrement dit, nous avons appris à nous connaître via le filtre des autres, occupants ou protecteurs des pays du Maghreb. Avec l’exploration de l’Algérie, ensuite de la Tunisie et du Maroc, surtout à partir du tournant XIXème-XXème et jusqu’à la pacification des montagnes du sud marocain, nous avons assisté à une pénétration massive des scientifiques européens, essentiellement français. Géographes, topographes, médecins, ingénieurs, artistes, journalistes, archivistes, hommes d’église, officiers et fonctionnaires épris d’histoire, anthropologues et ethnologues, académiciens ou simples amateurs, diplomates, négociants, traducteurs… En dehors des francs tireurs, qui ne respectaient aucun agenda particulier, les plupart des autres avaient une certaine ligne éditoriale. Ils débroussaillaient le passé anté-islamique pour chercher des raccordements possibles entre le segment latino-grecque (avec le passage des Romains en point d’orgue) et l’arrivée des colons et protecteurs. Le chef de file de cette école sera clairement le Français Emile Félix Gautier, qui consigna en 1927, un livre référence pour son époque : le célèbre «L’Islamisation De L’Afrique Du Nord, les siècles obscurs du Maghreb». Le titre, déjà, est sans équivoque : les siècles obscurs sont ceux de l’islamisation étalée sur des siècles, par couches successives. D’abord l’ère des conquêtes – razzias conduites par les Oqba Ibn Nafi’, Moussa Ibn Noussair ou Hassan Ibn al-Nu’man, et qui toucha aux villes, avec quelques incursions dans le sud marocain. Ensuite l’ère des essaimages des Banu Hilal et Banu Sulaym. La 1ère étape eut lieu au plus fort du VIIème siècle et finit par aboutir plus tard à la réorganisation du Maghreb en dynasties (les Idrissides pour le Maghreb al-Aqsa). La 2ème étape commença réellement au mitan du XIème siècle et amena une profonde recomposition tant de la mosaïque humaine du Maghreb (arabisation de l’élément berbère) que du champ géographique (retour au nomadisme) et du tissu économique (résurgence des activités pastorales aux dépens des agricoles).
Par Karim Boukhari
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