Accompagnant une délégation dépêchée par le sultan Moulay Youssef auprès du chérif de La Mecque en 1916, l’alim soufi Ahmed Skirj raconte le périple qui le mène du Maroc à la ville sainte, en passant notamment par la France et l’Egypte.
Abou al-Abbass Ahmed Skirj al-Ansari al-Khazraji est un alim soufi. Juge et homme de lettres, il vit au croisement du XIX et du XXème siècle. Né en 1878 à Fès, il décèdera 66 ans plus tard à Marrakech. Après l’école coranique, il suit les cours de la Qaraouiyine dès l’âge de quatorze ans. Ahmed Skirj laissera plusieurs dizaines d’ouvrages et d’études en théologie, en histoire et en mystique, mais aussi plusieurs récits de voyage parmi lesquels la Rihla mecquoise, dont il est ici question.
Ahmed Skirj est dans la force de l’âge quand le protectorat français s’établit au Maroc. Fonctionnaire du Makhzen et membre de la Zaouïa quiétiste, la Tijanya, il considère la France comme une puissance amie de l’Empire chérifien. Pour lui, seule cette dernière, qui respecte la foi musulmane et les institutions traditionnelles, peut mettre le pays sur la voie de la civilisation moderne (attamaddoun). L’auteur défend la participation des Marocains et des musulmans à la défense de la France contre ses ennemis durant la Première Guerre mondiale. Il montre une hostilité quasi franchouillarde envers l’Allemagne.
Le voyage qu’il effectue en 1916 au Hijaz s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de sa francophilie qu’il n’essaie même pas de cacher, alors que les tribus du Centre et du Sud du Maroc semblent réussir à arrêter l’avancée des troupes françaises d’occupation. De fait, Ahmed Skirj fait partie d’une délégation officielle que le sultan Youssef dépêche, en pleine Grande guerre, auprès du chérif de La Mecque, Hussein Ibn Ali (arrière-arrière-grand-père de l’actuel roi de Jordanie).
A l’instigation des autorités protectorales, le sultan du Maroc entend montrer un soutien politique indéfectible à son lointain cousin. Ce dernier entreprend ce qui entrera dans l’histoire comme la Grande révolution arabe contre les Turcs. Le chérif de La Mecque agit bien entendu en coordination avec les Britanniques, alliés de la France contre les empires centraux qui comprennent la Porte Sublime. Hussein Ibn Ali reçoit de la part de Londres la promesse de l’aider à former un royaume arabe destiné às’étendre de Damas au Golfe d’Aden. Et comme on le dit, les promesses n’engagent que ceux qui y croient puisqu’en même temps Londres, Paris et Saint-Pétersbourg signent un accord secret dit de Sykes-Picot, qui prévoit le partage du Proche-Orient arabe entre les trois puissances.
Loin de se poser des questions quant aux intentions réelles des Alliés, Skirj critique amèrement le leadership turc pour avoir engagé l’empire dans une guerre perdue d’avance et dont les conséquences seraient désastreuses pour le monde musulman. Il mène aussi une contre-propagande vis-à-vis de l’Allemagne qui tente de persuader les Arabes d’Orient que la politique française au Maghreb n’est que destruction et terre brûlée.
Par Maâti Monjib
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