Après vingt ans de «marocanisation», le royaume entend tourner la page de cette politique aux conséquences décriées. Abolie officiellement en 1993, la loi censée protéger l’économie nationale laisse place aux grandes manœuvres de privatisations. En quelques années, le Maroc opère donc un grand écart aussi spectaculaire que risqué…
«Cette décision [de privatiser] ne vise pas l’abandon par l’État de son rôle au service du développement du pays. Elle tend, bien au contraire, à dynamiser la modernisation de l’économie marocaine». Dès 1988, c’est le roi Hassan II qui se charge en personne de préparer l’opinion publique à un changement radical. Celui de l’intégration du Maroc dans la mondialisation économique, par ailleurs exigée par ses principaux créanciers de l’époque. Ces paroles royales sont adressées aux élus de la Chambre des représentants lors de l’ouverture de la session 1988. L’essentiel du discours de Hassan II est axé sur les besoins de privatiser les entreprises marocaines, sclérosées depuis au moins deux décennies par la politique dite de marocanisation. De l’aveu même du monarque, il est temps pour le pays de miser sur de nouveaux profils d’entrepreneurs qui ne se «sentent pas enfermés dans une économie dont l’accès leur est barré soit par les concentrations de capitaux privés, soit par les entreprises publiques».
Entre les lignes, ce sont bien les limites de la «marocanisation» qui sont dévoilés par le souverain, 20 ans après l’avoir lui-même imposée. Depuis 1973 et l’instauration de cette loi par dahir, l’état s’octroie le rôle principal. Outre la gestion de l’immense chantier de la récupération des terres coloniales, la marocanisation permet au régime de mettre au pas l’essentiel de l’activité économique nationale. C’est durant cette période que l’état a joué la carte du protectionnisme à outrance, notamment grâce aux mesures de protection douanières et aux incitations fiscales. L’idée est de permettre l’essor d’une nouvelle élite économique nationale capable de prendre la relève du capital étranger, qui domine le paysage depuis le Protectorat achevé en 1956.
Par Sami Lakmahri
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