Fathallah Oulalou fait partie de ceux qui ont vécu de près l’essor du phénomène Ben Barka. Il livre à Zamane ses souvenirs d’enfance et de jeunesse les plus enfouis.
Quels sont vos premiers souvenirs de Mehdi Ben Barka ?
Je suis né en 1942 et j’ai vécu mon enfance dansla médina de Rabat. Mon père y était commerçant et un nationaliste de base. Ben Barka était introduit en quelque sorte dans tous les derbs de la médina, il était un sujet de conversation récurrent. Enfant, j’ai donc connu des choses que je n’avais pas vécues et que je ne maîtrisais pas. Il était surtout question d’un jeune surdoué en mathématiques qui utilisait ses compétences dans la gestion politique. L’événement dont on parlait le plus était son élection à la présidence de l’association des anciens élèves du collège Moulay Youssef, à son retour d’Algérie en 1942. Ces élections ne sont pas anodines, d’abord parce que Ben Barka est issu d’une famille modeste mais surtout ses opposants étaient déjà des figures connues, notamment Mohamed Rachid Mouline, qui deviendra l’homme des indépendants et le mentor de Ahmed Réda Guédira. Nous avions vécu ce duel comme une compétition entre différents types de représentants et de familles. Ben Barka incarnait le courant nationaliste et Mouline un libéralisme lisse et plutôt pro-occidental. Le succès de Mehdi était donc uncentre d’intérêt et c’est mon premier souvenir de lui. Lorsque j’étais élève à l’école Guessous, nous étions formés pour devenir des nationalistes accomplis, l’établissement était libre et moderne car nous y apprenions également le français.
En quoi se distinguait-il des autres ?
Je me souviens que les lendemains d’Aïd, les militants se réunissaient au domicile de Balafrej pour souhaiter bonne fête aux leaders. La tradition voulait que chacun baise la main des zouamas, sauf celle de Ben Barka. Il était naturellement salué d’une poignée de main. Il est vrai qu’il était le plus jeune, mais c’est une marque singulière qui m’a très tôt marqué. Dans la maison de mon grand-père où nous vivions, les nationalistes organisaient des réunions et des répétitions de pièces de théâtre. Je me souviens que Ben Barka est venu à plusieurs reprises pour superviser cette activité car, il faut le savoir, il s’occupait absolument de tout, et cela a duré toute sa vie. Un jour, la troupe est venue répéter L’Avare de Molière avec dans le rôle d’Harpagon Abdelkader, le frère de Mehdi. C’est également chez nous, un peu plus tard, que s’est tenue la réunion des femmes qui enlevèrent leur voile par nationalisme. Encore une fois, cette initiative venait de Ben Barka.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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