Née de la volonté de consigner les choses vues, la rihla se développe au fil des pérégrinations des premiers voyageurs musulmans. Au Maroc, après Ibn Battuta, c’est avec la rihla sultanienne que ce genre s’illustre le plus.
Si les conquêtes musulmanes ont très tôt poussé les Arabes sur les chemins, c’est du IXème siècle seulement que date le plus ancien et le plus remarquable récit de voyage rédigé en langue arabe. Il s’agit de la Relation de la Chine et de l’Inde. A cette époque, l’Asie attire fortement marins, commerçants, ambassadeurs et courriers musulmans. C’est sans doute sous la plume d’un représentant de l’une de ces catégories de voyageurs que cet écrit anonyme voit le jour en 851. Présentée sous forme d’une «suite de récits discontinus et fragmentaires, dont le seul lien extérieur à l’œuvre est précisément la référence géographique à l’Extrême-Orient», la Relation constitue une mine de renseignements sur l’organisation politique, économique et sociale des pays visités. Privilégiant l’information objective au détriment du merveilleux, elle préfigure pour André Miquelun «esprit vraiment scientifique, soucieux de poser les faits et rien que cela». Mais pour l’auteur de la Géographie humaine du monde musulman, cette objectivité est trompeuse : «Elle ne dépasse pas le simple exercice de la faculté de voir ou de noter [car] dès qu’on s’élève aux critères même du jugement, on retrouve toujours la référence explicite ou non à l’islam».
Plus d’un siècle plus tard, dans le Supplément à la Relation de la Chine et de l’Inde, Abû Zayd as-Sîrâfî consigne de nombreux récits de marins qui trahissent un goût systématique pour l’insolite. Une tendance qui ne se démentira pas dans Merveilles de l’Inde, un recueil anonyme qui date de la même période. Si les pays visités y sont autant observés que jugés, l’attrait pour le ‘ajîb (merveilleux) l’emporte souvent sur l’exigence de la vérité. Désormais, par la place importante qu’elle accorde au merveilleux, la littérature de voyage de cette époque intègre définitivement l’univers de l’adab (littérature). Mais le véritable prototype de la rihla (journal de voyage) ne verra le jour qu’avec la parution de la Risâlâ d’Ibn Fadlân (Xème siècle). Ce récit qui présente un savoir récréatif, confirmant la même prédilection pour le merveilleux, est le compte rendu officiel d’une mission qui a mené le voyageur (l’auteur) de Bagdad jusqu’au pays des Bulgares. Il s’agit du premier écrit de son genre qui consigne les choses vues dans l’ordre d’un itinéraire, créant un lien entre le temps vécu et l’espace parcouru. Ce trait distinctif fonde la rihla en tant que genre intermédiaire entre l’histoire et la géographie. Basée sur le témoignage direct (‘iyân), la Risâla d’Ibn Fadlân s’inspire spontanément des techniques du récit et de la description. C’est dans ce sens qu’elle est le véritable précurseur du journal de voyage tel que l’illustreront Ibn Jubayr et Ibn Battuta.
Par Saloua El Oufir
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