Pour s’implanter au Maroc, l’Islam a dû traverser toute l’Afrique du Nord. C’est donc dans cette globalité régionale que des chercheurs ont essayé de comprendre ce phénomène, rendu obscur par des sources tardives et orientées. Un défi éminemment relevé par l’historienne tunisienne Hayet Amamou, qui a consacré une partie de sa carrière au sujet des origines de l’Islam au Maghreb. Dans cet entretien privilégié avec elle, elle nous explique les enjeux de l’apparition de l’Islam, les obstacles de sa propagation mais aussi l’impact politique, socialet culturel sur une région depuis métamorphosée.
Depuis une dizaine d’années, l’historiographie marocaine s’ouvre peu à peu à l’ère préislamique. Avant cela, l’impression était que l’Histoire du royaume débute avec l’avènement de l’Islam. Qu’en est-il chez vous en Tunisie ?
Chez nous, la situation est très différente car l’historiographie s’est concentrée depuis l’indépendance sur l’histoire préislamique (la préhistoire, l’histoire punique, l’histoire romaine…). Actuellement, on s’intéresse de plus en plus à la période de transition qui traite les continuités et les ruptures entre ce qu’on appelle l’historiographie anglophone, la basse antiquité et l’islam («late antiquity and islam»). Depuis la fondation de l’Université tunisienne, l’historiographie s’est intéressée aussi à l’histoire coloniale et à celle du mouvement national avec, comme seul héros, Habib Bourguiba, surnommé le leader de la nation. Ainsi, on peut comprendre que l’historiographie tunisienne a été consciemment ou inconsciemment marquée par l’idéologie de l’état de l’indépendance, qui fait la connexion entre l’histoire préislamique dominée par l’Occident (l’empire romain), et l’état de l’indépendance qui puise sa légitimité de l’adoption de la pensée moderne occidentale adaptée à une compréhension «rationnelle» de la pensée de la religion musulmane qui s’apprête à une modernisation officielle de la société tunisienne.
Quels sont les matériaux généralement utilisés par les historiens pour restituer l’histoire de la conquête musulmane de l’Afrique du Nord ?
Les matériaux utilisés par les historiens pour restituer l’histoire de la conquête musulmane du Maghreb sont essentiellement des récits relatés par des chroniqueurs égyptiens comme Ibn Abdelhakam mort en 871, al-Nuwary (m. en 1333), ou orientaux comme Ibn Khayyât (m. en 855), al-Balâdhurî (mo. en 892), Ibn al-Athîr (m. en 1233). Les récits des chroniqueurs maghrébins n’ont commencé à voir le jour que plus tard avec al-Raqîq al-Qayrawânî (m. en 1027), mais dont l’attribution du livre «Târikh Ifriqiya wal Maghrib» reste jusqu’à nos jours un sujet de polémique entre ceux qui confirment son attribution à al-Raqîq et ceux qui la nient. Ibn Idhârî (m. en 1312) est considéré comme le plus éminent chroniqueur de la conquête musulmane du Maghreb, ainsi qu’Ibn Abî Zar’ (mort vers 1320) et Ibn Khaldûn (m. en 1406).
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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