Abderrahman Youssoufi, patrimoine immatériel
Youssoufi n’a pas attendu la mort pour être consacré au panthéon des légendes politiques de son siècle. C’est justement pour cela que sa disparition, le 31 mai dernier, vient entériner la fin d’une époque. Pourtant malade et âgé de 96 ans, l’annonce de sa mort a tout de même soulevé une immense vague d’émotion au Maroc, et même au-delà. L’ancien leader de l’UFSP jouit encore d’une grande popularité auprès de toutes les générations. En presque huit décennies, le Premier ministre de l’Alternance a joué un rôle prépondérant durant les trois derniers règnes de la monarchie. Son principal fait d’armes est d’ailleurs d’avoir assuré une transition pacifique entre Hassan II et Mohammed VI. De cette période est née une profonde affection entre lui et l’actuel souverain. De ces derniers jours de vie, le public retiendra des images. Celle du roi à son chevet lors d’une précédente hospitalisation. Un baiser sur la tête, profonde marque de respect, jamais Mohammed VI n’aura fait étalage public de tant d’affection à une personne qui ne soit pas de sa famille proche. Une autre image, tout aussi poignante, celle de son épouse Hélène Youssoufi, tout juste veuve, effondrée et soutenue par la nièce de son époux, adressant un ultime adieu à son compagnon de vie au seuil du cimetière Chouhada de Casablanca où il est enterré. La mémoire sait parfois se passer de mots.
Mohamed Melehi, dernier coup de pinceau
Si le Covid-19 a fini par l’emporter, c’est bien Mohamed Melehi qui s’est d’abord joué de lui. Souvenez-vous, au début de la crise sanitaire et de son lot de morosité ambiante, le peintre marocain a réussi l’exploit de vendre l’une de ses œuvres majeurs pour 5 millions de dirhams. C’était à la fin mars 2020, lors d’une vente aux enchères très médiatisée. L’art tient tête au coronavirus, a-t-on pu lire sur quelques titres. Hélas, le virus a pris sa revanche en ôtant la vie à Mohamed Melehi, le 28 octobre, dans une clinique parisienne. L’artiste marocain a succombé à l’âge de 84 ans, en pleine gloire. Une renommée construite dans la patience et dans les expériences à l’étranger. Le natif d’Asilah, ville d’art, en 1936, a tôt fait d’écumer ses pinceaux en Espagne et en Italie, avant de bousculer le milieu de l’art dans son antre new-yorkais au cours des années 1970. Mais comme un aimant, il ne peut contenir son envie de rentrer au Maroc, oùil participe à l’essor à l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca dont il devient le fer de lance. Discret et considéré comme élitiste, l’artiste qui a contribué à faire changer l’art moderne de dimension dans son pays, confessant dans une interview accordée à Zamane «revendiquer l’art populaire et ce que le génie marocain a créé dans ce domaine». Dans le même entretien, il évoque aussi l’héritage : «Du haut de mes 60 ans de carrière, je suis le témoin de démarches très intéressantes entreprises par des artistes locaux. Faites un tour dans les galeries et vous vous en rendrez-compte par vous-même…». Promis.
Mahjoubi Aherdane, produit du terroir
Homme politique, résistant, militaire, militant culturel et peintre. Comment faire tenir toutes ces facettes en une vie ? Mahjoubi Aherdane aurait pu vous répondre, lui qui s’est éteint à un âge avancé mais inconnu, estimé tout de même à 99 ans, le 15novembre dernier. Son exceptionnelle longévité ne justifie pas tout. Pour réaliser un tel parcours, il faut une énergie qui sort du commun. Peut-être a-t-il puisé cette vitalité pétillante dans sa terre natale d’Oulmès, qu’il gardera viscéralement attachée à lui. Figure de la résistance, Aherdane se mue rapidement en homme politique habile en créant le Mouvement Populaire (MP) en 1957. Ses détracteurs lui reprochent son opportunisme, mais force est de constater que l’homme a toujours su choisir le camp des vainqueurs. Indéfectible fidèle du Palais, Aherdane s’illustre notamment dans le milieu rural où son influence est restée longtemps incontestée. Fin connaisseur de l’exécutif, Aherdane a brigué plusieurs postes ministériels – en particulier celui de la Défense (1961-1964) – contrecarrant ainsi l’hégémonie des partis nationalistes traditionnels. Il a su tisser tout au long de sa carrière politique un réseau étoffé, aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Passionné d’art amazigh, le défunt a aussi personnifié une culture. Celle de la terre dans laquelle il repose pour l’éternité.
Nourredine Saïl, producteur de lumière
Qu’ils soit grand ou petit, l’écran n’avaient pas de secret pour Nouredine Saïl. À lui seul, il a écrit plusieurs scénarios pour dépoussiérer la télévision et le cinéma au Maroc. Le clap de fin a pourtant retenti trop tôt, lorsque le Covid-19 a eu raison de Saïl le 16 décembre dernier, emporté à l’âge de 73 ans. Avant de partir, le Tangérois aura, quasiment à lui seul, fait ressusciter un secteur que l’on pensait perdu à jamais perdu. À la tête du CCM (Centre Cinématographique Marocain) de 2003 à 2014, il a multiplié les productions locales et fait venir les mastodontes de Hollywood dans les studios de Ouarzazate. Sans oublier que le philosophe de formation est également l’un des acteurs principaux de la réforme de la TVM, avant de devenir le parrain de 2M à l’aube du nouveau millénaire. Nourredine Saïl a épousé d’autres combats, comme le prouve son engagement militant au sein de l’UNEM à une époque où la scène politique ressemblait à un interminable thriller. En multipliant les rôles, il aura fait de sa vie une œuvre d’intérêt public. Générique…