L’expression n’est pas mienne, mais revient à l’anthropologue Hassan Rachik qui a réservé à la question de l’identité un travail savamment étayé, objet d’un livre qui porte le même titre. Oui, les identités sentent le soufre. Certes, elles procèdent de bons sentiments. Elles sont une réaction contre une injustice, mais, comme le dit Alain Chouraqui dans les colonnes du «Monde» (13 avril 2017), ahuri par la dérive identitaire en Europe, «l’histoire des grandes tragédies a montré que les apprentis sorciers ont toujours tactiquement soufflé le chaud et le froid. Les porteurs du pire n’ont pas toujours anticipé les conséquences ultimes de leurs excès, ni leur dépendance à l’égard des passions qu’ils ont flattées, vite immaîtrisables».
Dans l’effervescence identitaire, ce sont les plus excités qui se font entendre. Et ces excités, devant des échecs personnels ou communautaires, se muent en radicaux, ce qui conduit au pire, dit encore Chouraqui. Cela nous interpelle, bien sûr, et devrait interpeller au premier chef ceux qui avaient materné les plus effrontés et les forts en version ou conversion, à défaut de thème. Le simplisme de quelques apprentis avait cru juguler une déferlante identitaire, par une autre qui se voulait moderne, tout en étant traditionnelle. Vaste programme.
Mais revenons à la pensée
froide et constructive, celle distillée par une pensée objective, contenue dans l’ouvrage de Hassan Rachik. Une identité peut être dure, «hard», c’est-à-dire exclusive, se définissant par opposition, ou ce que Rachik appelle par un terme savant, une conception substantiviste. Je suis ce que je suis. Je suis dans une totalité préexistante à mon être, et je suis par opposition à ce que je ne suis pas. La kalachnikov peut être au bout de l’identité dure, écrit Hassan Rachik. L’individu s’éclipse face à un héritage ou la conception qu’on s’en fait. L’identité dure est totalitaire, suffisante, haineuse… et fragile. Elle ne tient que par la force ou l’illusion. Comme pour les anciens régimes baâthistes qui avaient biffé les différences, par l’idéologie et la police politique. Ils furent rattrapés par l’autorité de la réalité, dans une implosion sanglante.
Par opposition à l’identité dure, Hassan Rachik exhibe l’identité molle qui trouve grâce à ses yeux. Le terme ne renvoie pas à la carence de vigueur, mais plutôt à la souplesse. L’individu est porteur de plusieurs identités qui s’accumulent. L’identité molle est subjective dans la mesure où l’individu se l’approprie, à sa manière. Elle est contextuelle dans la mesure où les individus choisissent leurs identités en fonction des contextes. Contexte spatial ou temporel. L’identité n’est pas figée, mais évolutive, qui plus est, l’individu peut porter plusieurs identités. In fine, la valeur qui revient dans l’identité molle est la liberté. Pourquoi donc ne pas mettre en exergue la liberté en lieu et place de l’identité ? Rachik y répond par ricochet. L’Etat n’a pas à être le grossiste des identités pour détaillants communautaires, mais le garant des libertés individuelles et collectives. On pourrait envisager une répartition des tâches où des individus ou des communautés s’agrippent à ce qu’ils considèrent leurs identités, au nom des libertés individuelles et collectives, et l’Etat se porte garant non d’une identité ou d’un chapelet d’identités, mais de valeurs. Cela doit bien sûr figurer dans le texte fondamental où l’Etat garantit les libertés individuelles et collectives, mais s’interdit de consacrer les identités. L’Etat doit reposer sur un socle, un seul, la nation. La nation comme valeur commune qui repose sur un devenir commun. Le reste c’est de la littérature ou de la prestidigitation.
Oui, tout ce qui est bigarré
est mauvais, Platon nous avait mis en garde. Le chatoiement des couleurs subjugue, mais finit par se muer en cocktail Molotov. Tiens, si vous n’avez pas grand-chose à faire, lisez le livre8 de « La République » de Platon, vous comprendrez notre situation si complexe et si simple. Sinon, méfiez-vous des clowns, comme Fouad Laroui se méfiait des parachutistes. Les clowns sont bons pour un cirque et non pour un espace public, à moins que l’espace public se mue en cirque, et les clowns, autant que les guignols, siègeront en bonne place.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane