Il semble que le Maroc est toujours à la recherche d’une réforme adéquate à son système d’éducation et de formation. À l’annonce de chaque nouvelle réforme, on fait le constat, souvent hâtif, de l’échec des réformes précédentes. Chaque fois, il y a mobilisation de ressources humaines et budgétaires et déclarations de bonnes volontés, et souvent déploiement d’importantes énergies. À terme, il y a certes production de longs rapports, de centaines de recommandations, des tentatives de restructuration et, au final, un état des lieux encore plus délabré que le précédent. On se demande alors si notre système d’enseignement et de formation est réformable ? Quel crédit accorderons-nous à toute nouvelle tentative de réforme ? Pour ne pas verser dans la sinistrose, je signale de prime à bord qu’au-delà des tentatives infructueuses ou sans lendemains, les différents exercices ont révélé un capital marocain de réflexion et de savoir-faire en matière d’éducation et de sciences de l’éducation. Le rendu même des différentes équipes, qui ont tenté les réformes précédentes, ne manque pas d’intérêt, en particulier la charte de la COSEF et le rapport de 2008 du Haut Conseil de l’Enseignement.
Mais, le passage de certaines bonnes idées, du champ de leur énonciation à celui de leur mise en œuvre, dans la réalité scolaire et universitaire, révèle l’étendue du pouvoir destructeur, aussi bien des institutions législatives que de l’administration de l’État. La forme et l’esprit des lois, les décrets d’application et les circulaires ministérielles, ainsi que les blocages des corps enseignants et administratifs, relèvent en majorité d’une culture qui n’a rien à voir, ni avec l’innovation , ni non plus avec la rationalisation. Encore moins avec la créativité, la création et la modernité. Cette grande disparité entre certaines bonnes, et l’état de délabrement de notre système éducatif, sont à la base de la déperdition dramatique des capacités et des énergies déployées dans ce secteur stratégique. Sommes-nous condamnés à la répétition de ce cycle sisyphien qui produirait à terme une intériorisation collective de notre incapacité à penser et à produire notre école ? J’ose espérer une autre alternative. Mais la réforme de l’enseignement ne saurait être séparée de celle de la société et de l’État. Or, à ces deux niveaux, les différentes intelligentsias hésitent à rompre avec des modes de pensée et d’agir conservateurs. Il y a deux décennies que notre grand penseur Abdellah Laroui a dit que tant que la réforme de l’enseignement ne passe pas de la centralité de l’identité à la centralité de la connaissance, la réforme ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau. Mohamed Cherkaoui, autre valeur scientifique et culturelle du pays, a souvent rappelé que le temps pédagogique est différent du temps politique et, par conséquent, un projet de réforme du système de l’enseignement et de l’éducation est d’abord l’affaire de savants et de penseurs et sa mise en œuvre nécessite un choix politique courageux qui appelle une force de décision et non la recherche d’un consensus fictif.
Sortir de l’État de délabrement actuel, vers un système éducatif moderniste et productif, nécessite des ruptures et elles ne se feront pas avec de petits calculs politiques et politiciens. Toute réforme reste illusoire tant que la société n’aura pas engagé en même temps des chantiers pour produire notre propre humanisme, notre propre démocratie et notre propre citoyenneté. L’enseignement n’est pas un secteur improductif, ni un luxe dont seule une minorité devrait bénéficier. C’est un secteur stratégique, hautement productif s’il est inscrit dans un processus global de production d’une société moderniste qui n’a peur ni de son temps, ni de la science comme patrimoine universel de l’humanité. L’identité nationale n’est pas une donnée immuable. Elle est une production historique de la société.
Ce que traduit l’échec des réformes successives, c’est l’incapacité des intelligentsias à produire un projet commun de modernité marocaine à instaurer un large débat sérieux, profond et serein entre les porteurs d’idées. Produire du commun ne nécessite pas seulement des débuts de débats qui tournent vite en conflits, mais de l’écoute, du temps et de la recherche de convergences positives. Des débats de ce genre nécessitent une volonté politique, mais leur objet n’est pas politique. Aussi, je ne comprends pas la composition du nouveau Haut Conseil de l’enseignement. Il semble que le souci de consensus l’a emporté sur celui d’une réflexion entre porteurs d’idées et de savoir-faire. Je ne comprends pas que des personnalités comme Abdellah Laroui, Mohamed Cherkaoui, chercheur de renommée internationale en sciences de l’éducation, Aziz Hasbi, ancien président du Bureau International de l’Éducation, et Abdelkader Fassi-Fihri, linguiste mondialement reconnu, soient écartées de ce haut conseil. Son effectif pléthorique n’a de sens que si le but est d’en faire une simple chambre d’enregistrement. Néanmoins, j’ai beaucoup de respect pour le président du conseil et pour les membres porteurs d’idées. Tous mes souhaits que leurs efforts de réflexion ne soient pas dilués dans la platitude ambiante.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane