Mohammed VI a tranché, autorisant les femmes à exercer le métier d’adoul, jusque-là réservé exclusivement aux hommes. Si beaucoup parlent déjà d’une “révolution juridique”, d’autres doutent de sa mise en pratique sur le terrain. Les détails.
L’idée faisait polémique depuis plusieurs mois au sein du ministère de la Justice et de la profession des adouls. Et pourtant, lundi 23 janvier, en Conseil des ministres, le roi Mohammed VI a tranché et chargé l’actuel ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, d’ouvrir la profession d’adoul aux femmes et de “prendre les mesures nécessaires pour réaliser cet objectif”, selon un communiqué publié dans la foulée. De nombreux médias ont salué une “révolution juridique” qui devrait “faire grincer des dents” les milieux salafistes. Ce qui n’a pas manqué de se produire puisque le médiatique prédicateur Hassan Kettani s’est violemment insurgé contre cette décision. En réalité, il n’a pas été le seul à s’indigner. Pour rappel, l’idée d’ouvrir la profession d’adoul aux femmes avait été annoncée en juillet dernier par Mohamed Aujjar en personne. En effet, il avait déclaré à la presse qu’un concours pour le recrutement des adouls devait être organisé en octobre 2017, et qu’il serait pour la première fois ouvert aux femmes. Cette annonce n’avait cependant pas été suivie d’une décision juridique. En interne, des discussions avaient toutefois été entamées entre le ministère de la Justice et l’Ordre des adouls. Si le premier s’est basé sur l’article 4 de la loi 16-03, promulguée en novembre 2008, qui ne prévoit plus la masculinité comme critère d’accès à la profession, les seconds (du moins une partie) ont brandi quant à eux le verset 282 de sourate Al Baqara, qui dit que le témoignage de deux femmes vaut celui d’un homme. Il semblerait donc qu’une partie de l’Ordre des adouls, rétive à cette “réforme”, ait bloqué le processus. Jusqu’à ce que Mohamed Aujjar sollicite le cabinet royal et le Conseil des oulémas. Et que ces derniers tranchent en faveur des femmes. Car c’est aussi de ça dont il s’agit. Cette décision royale apparaît comme la suite logique d’une ouverture féministe du Maroc depuis l’avènement de Mohammed VI, et renvoie l’image d’un pays qui se veut “le chantre de l’islam modéré”, selon un article de « Le Monde », publié sur le sujet. Or, en pratique, des membres de la profession, mais aussi plusieurs juristes, s’interrogent sur la mise en place concrète et juridique de cette décision. “ L’ouverture de la profession d’adoul aux femmes bute justement sur le droit, car le témoignage des femmes y est discriminatoire et en contradiction avec le principe constitutionnel de l’égalité. Selon le droit musulman, le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme. Ce contexte ne peut que déstructurer le rôle futur de la femme adoul et, à la limite, le vider de son sens puisque le témoignage structure la profession d’adoul”, conclut Fatiha Daoudi, juriste.