L’écran s’ouvre sur une course. Des enfants parcourent les terrasses de la ville de Fès. L’agilité des enfants à sauter et à enjamber les barrières en briques et en tuiles (karmoud vert) ne décourage pas la caméra qui se met à leur rythme et leur vitesse. Bienvenus dans l’autre visage de la ville que, pendant longtemps, les objectifs des appareils photographiques nous ont montré figé et lointain. Les terrasses qui nous submergent sont dynamiques. C’est un lieu de vie et non pas comme celles de Balzac dans Le Père Goriot où l’on observe les intérieurs des maisons de la pension Vauquer. C’est dans cette aire de liberté que Abdelhaï Laraki a choisi de démarrer le «Fez Summer 55», son film autour des derniers mois de la résistance marocaine contre l’occupation française. La terrasse est un lieu de vie pour un enfant oiseau aguerri par sa connaissance et sa pratique de la ville par le haut. Les terrasses sont le lieu de vie des femmes, c’est là où, à l’abri des regards, elles s’exprimaient, chantaient des poèmes à l’adresse de l’aimé. Mais dans ce monde féminin s’est introduit ce félin, Kamal dans le film, mû en ceci par l’amour ardent mais caché qu’il portait pour sa voisine (Aïcha) son aînée de quelques années. L’amour inexprimable est majestueusement rendu par l’usage de la lumière. Dans un jeu de séduction à double sens Kamal et Aïcha vont ouvrir à la résistance un espace insoupçonné celui des terrasses ; une alliance entre le terrestre et le céleste, entre le matériel et le spirituel. Aïcha est activiste dans un groupe d’étudiants qui résistent à la colonisation, d’abord pacifiquement, et puis dans une recrudescence de violence de la force coloniale, ils passent aux armes.
Aïcha est la fille d’un riche bourgeois ouvert, en apparence, sur son temps, mais qui ne veut pas que sa fille soit mêlée à la résistance, surtout quand il a découvert qu’elle était amoureuse de Youssef, le Rifain et leader du mouvement, désormais, armé. L’émancipation de la domination coloniale, dévoile aussi une pluralité culturelle de la grande métropole. À travers le film, on aura à se délecter de la beauté des accents (sahraoui, rifain, jebli, et bien entendu fassi), dans des dialogues spontanés comme si les comédiens évoluaient dans la réalité.
L’opposition des intérieurs des maisons, calmes et paisibles, et l’extérieur mouvementé et violent, suggèrent l’opposition entre la tradition stable et la modernité qui s’opère dans la douleur et la tourmente. Le réalisateur n’a pas succombé au faste des demeures fassies ; par un traitement de la lumière il les a sorties de l’approche orientaliste qui marque un certain nombre de films.
Plusieurs récits se superposent, mais le lien, ou le glacis que pose le peintre sur toute la toile, pour permettre de régler l’harmonie générale du tableau, est l’histoire d’amour compliqué : Kamal aime Aïcha qui aime Youssef et ce dernier admire le courage de Kamal.
Le reste de l’histoire est à découvrir à partir du 11 janvier 2024, date hautement symbolique pour les Marocains et celle aussi de la sortie film en salle au Maroc.
Par Moulim El Aroussi