Le 17 décembre dernier, j’ai participé à une journée d’étude qui s’est tenue à la Faculté Polyvalente de Taza sur le thème « Expériences d’écriture d’histoire urbaine au Maroc ». J’ai été particulièrement impressionné par deux éléments. D’abord la forte présence des étudiants de différents niveaux qui suivaient les travaux de la rencontre avec un intérêt visible, et qui ont posé des questions pertinentes au cours de la discussion, ce qui témoigne d’un rapport positif avec les enseignants, et d’une forte demande d’histoire et de culture dans les marges. Le deuxième élément a trait au choix du thème, un échange fécond entre spécialistes, et qui ne peut que faire avancer le désir de recherche chez les jeunes générations. Ce fut donc un moment d’allégresse qui illustre les attentes de la population estudiantine et de jeunes professeurs enthousiastes. Mais cela ne doit pas occulter une question importante, celle de la recherche en histoire et dans les différentes sciences humaines.
Une recherche scientifique performante fonctionne, en principe, à travers l’interaction entre un ensemble d’éléments, à savoir des programmes de recherche, des bibliothèques et des centres de documentation bien alimentés, des séminaires de formation et de recherche, des institutions savantes, des revues spécialisées, une édition munie de comités de lecture compétents, et des relais d’information qui font connaître les nouveautés et en vulgarisent les contenus. La synergie entre ces différents maillons permet d’assurer la logistique de la recherche, la formation et l’évaluation méthodique. Ce sont les conditions qui favorisent la formation d’une véritable communauté scientifique.
Qu’en est-il du Maroc ? Malgré les efforts de quelques îlots dynamiques, il faut reconnaître que la recherche est désarticulée. Elle se porte mal et connaît même une certaine régression. Certains symptômes sont inquiétants :
primo, l’université marocaine n’est toujours pas dotée d’un fichier central des thèses qui rationalise le choix des sujets d’étude, ce qui facilite le recours à la répétition et aux sujets de commodité.
Secundo, l’idée de promouvoir la recherche nationale sert souvent d’alibi pour se dispenser d’assimiler les nouveaux acquis méthodologiques réalisés dans les pays avancés. Et fait plus grave : la non-maîtrise des langues étrangères (français, anglais, espagnol) signifie aussi chez beaucoup de chercheurs un problème d’accès aux travaux étrangers sur l’histoire, la société et la culture marocaines.
Tertio, par un curieux paradoxe, après une phase d’accumulation qui connaissait une véritable pénurie du financement de la recherche, ces dernières années ont vu le phénomène des appels d’offres qui ne suscitent pas de candidatures, et de « l’année sabbatique » qui n’est pas utilisée de manière adéquate pour faire avancer les travaux en cours. Cette situation résulte d’une évolution complexe qui a fini par créer une « complicité » entre les différents acteurs concernés.
L’institution universitaire n’a jamais fait de la recherche une véritable priorité. L’activité de recherche n’est ni valorisée, ni motivée. De par son statut, l’enseignant est censé faire de la recherche, mais dans les faits, il obtient sa promotion administrative par l’ancienneté, ou en exhibant diverses activités associatives dites de « rayonnement ». Et à force de s’accommoder avec cette structure, une grande partie du corps enseignant a intériorisé une mentalité de rente protégée par des réflexes corporatistes qui confondent la contrainte et l’alibi.
L’université marocaine a été l’objet de réformes successives. Mais, à chaque fois, le problème de la recherche a été envisagé de manière formelle : on a toujours remarqué que les pratiques anciennes continuent dans de nouveaux moules institutionnels. Face à l’évaluation hâtive à caractère bureaucratique, les établissements universitaires déclinent des statistiques encourageantes sur les filières, les formations, les structures de recherche et les formations doctorales. Mais, lorsqu’il s’agit de regarder de près l’état concret de la recherche au sein de ces cadres institutionnels, le bilan est décevant.
La recherche souffre donc de carences structurelles et cumulatives qui affectent la fonction de l’université comme espace de formation et de transmission du savoir. Toute insouciance à son égard ne peut qu’hypothéquer l’avenir.
Par Abdelahad Sebti, conseiller scientifique de Zamane