Cinq ans depuis qu’une secousse d’une forte amplitude a secoué le monde arabe qui n’a de pareille que celle dite « la révolte arabe » pendant la première guerre mondiale, et l’espoir de se dégager de la tutelle ottomane pour créer un Royaume arabe sous la houlette du prince Faysal. Le deuxième temps fut celui de la vague de décolonisation. L’acte III est celui dit le printemps arabe. Il n’a de printemps que le nom, et le monde arabe est partagé entre l’ouragan qui menace même les structures étatiques héritées des colonisations et la grisaille qui prévaut ici et là, entre un jeu démocratique mitigé, des structures de blocage, dont celui dit l’Etat profond ou les structures parallèles, le retour des foulouls (les débris), sans parler de la menace que fait planer le terrorisme.
Comme dans les règles de dramaturgie, on ne peut faire une pièce théâtrale en trois actes. Le quatrième acte s’impose.
Pour pouvoir le concevoir, il faut peut-être dégager quelques constantes bonnes à rappeler. Le monde arabe est pluriel, aussi bien sur le plan ethnique (Arabes, Kurdes, Amazighs, Turcomanes, Nubiens..) que culturel, religieux, politique ou les formes de gouvernement (monarchies, elles-mêmes plurielles, monarchies historiques, d’autres récentes, certaines oligarchiques; républiques, certaines dirigées par des militaires, d’autres sont plutôt oligarchiques, et républiques démocratiques). C’est dire que le monde arabe est un capharnaüm, et s’y hasarder avec une conception holiste est une recette pour l’échec.
Mais on ne peut, non plus, ignorer certaines similitudes qui ont tout l’air de constantes. Ce grand espace a été déterminé plus que déterminant par les grandes puissances et les puissances régionales. Après ce qui était appelé « the british moment », il y eut, depuis la deuxième guerre mondiale, « the pax Americana »… Il y eut deux tentatives pour « se prendre en charge » avec Nasser, et puis, depuis 73, avec l’Arabie Saoudite, forte de la manne de son pétrole et de son idéologie messianique. L’une était un échec et l’autre a fini par concocter des monstres.
On termine par rappeler la centralité de l’Egypte dans le jeu arabe. Depuis l’expédition de Napoléon en 1798, l’évolution de l’Egypte fut en dents de scie, tiraillée entre deux modèles, celui de Mehmet Ali, volontariste et continental, et celui du Khédive Ismael, velléitaire et tourné vers l’Europe… L’Egypte n’est pas parvenue à un modèle qui soit la synthèse des deux.
Tout cela est bon à rappeler, mais le Maroc, tout en faisant partie du monde arabe, est un peu, comme le dit le chroniqueur Omar Saghi, la Grande-Bretagne du monde arabe. Elle est en Europe sans y être. Elle est en dehors de la rivalité du tandem franco-britannique. Elle est dans le marché européen, sans être dans la monnaie unique. Elle est dans l’Union européenne, sans oublier le large atlantique. La comparaison ne manque pas de pertinence, mais j’incline plutôt, par autosuggestion, pour le modèle chilien. Le Chili fait partie de l’Amérique latine, par le l’Espagnol, mais est plus lié aux Etats-Unis qu’à l’Amérique latine. Et tout en parlant l’Espagnol, les Chiliens ne sont pas moins «Allemands» dans leur structure mentale. Ne pas ignorer les influences arabes, dans le cas marocain, c’est faire office de myopie. Ne pas voir la spécificité du Maroc, c’est être aveugle.
Comment sortir de la grisaille ? Il y a, à mon humble avis, trois grands chantiers, plus importants que le jeu électoral et qui déterminent les choix stratégiques. D’abord la structure de l’Etat. Il était dit, dans un dossier dans The Economist, que dans le monde arabe il y avait des régimes forts, mais des Etats faibles. L’Etat n’est pas que des structures administratives ou des techniques mais l’expression d’un contrat social. Il ne peut faire bon ménage avec des structures parallèles ou faire le jeu d’oligarchies.
Le deuxième chantier, c’est l’éducation qui n’est pas que l’instruction. L’instruction répond à deux impératifs : disséminer une formation de base à toutes les couches de la société, et aussi être capable de former ses propres élites. Quant à l’éducation, elle doit se définir par rapport à deux choix : le spécifique ou l’universel ? Le spécifique a été, dans le cas européen, la recette contre les tiraillements des nationalismes qui ont fait le lit à la première guerre mondiale. Que voulons-nous, in fine, nous arcbouter dans le spécifique ou prendre l’envol de l’universel ? A-t-on répondu à cette question ? L’avons-nous même posée ?
Le troisième chantier a trait à la distribution équitable des ressources. Cela a été reconnu par les hautes instances du pays, les réalisations en matière d’infrastructures n’ont pas été accompagnées par une répartition équitable des richesses et les initiatives sociales entreprises ont été plus du saupoudrage qu’un traitement de fond de la pauvreté et de l’exclusion.
Est-ce tout ? J’ajouterais un chantier, entamé il y a plus de dix ans : celui de la restructuration du champ religieux. On pourrait passer à un bond qualitatif par ce que j’appellerai la rénovation de la pensée religieuse. La restructuration du champ religieux répond à l’impératif de la modernisation de l’Islam. La rénovation de la pensée religieuse, de concert avec la refonte du système éducatif, participe à la modernisation des musulmans, dans le cas d’espèce, les Marocains. Voilà quelques conjectures qui pourraient nous sortir de la grisaille… J’ai oublié l’essentiel : des êtres capables de nous paver la voie. Il faut les chercher. Mais comment ?
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane