L’Amérique tiendra le monde en haleine pendant les mois qui viennent pour connaître le nouveau locataire de la Maison Blanche. Le monde est occidentalisé, et depuis la Deuxième guerre mondiale, c’est l’Amérique qui est devenue le cœur battant de l’Occident et donne le ton à la planète. Elle est venue à la rescousse du monde, depuis la Première guerre mondiale, et peut-être même avant, avec ses idées libérales et égalitaristes, puis au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, avec l’architecture politique que nous connaissons des Nations Unies, économique avec le système de Bretton Woods, et un messianisme qui a permis à plusieurs nations sous domination coloniale de s’émanciper, tout comme elle est accourue au chevet de l’Europe ruinée par la guerre et le désespoir. L’Amérique était la solution aux problèmes du monde. Or, pour reprendre l’expression d’un grand connaisseur de l’Amérique, Emmanuel Todd, elle est devenue le problème, et ce depuis la chute du mur de Berlin. On peut s’en rendre compte au regard de ses idées simples et simplistes qu’on a présentées au monde comme étant le viatique. D’abord sur le plan économique, avec cette idéologie néolibérale, avatar des vieux physiocrates français, qui avait fait fortune et a fini par tomber en désuétude, et son vieux slogan « laissez faire, laissez passer ». Le néolibéralisme est à l’origine de grands dysfonctionnements dans le monde et en Amérique. Ses victimes sont les segments les plus faibles de la société et l’environnement. La théorie de Trickling down, ou l’enrichissement par ruissèlement, est une vue de l’esprit. La richesse ne se partage pas et les riches n’aiment pas partager, en Amérique plus qu’ailleurs. Les élans caritatifs ne sont qu’un leurre. Michel Floquet, un fin connaisseur, dira, dans un excellent ouvrage qui vient de paraître et au titre révélateur, « Triste Amérique, le vrai visage des Etats-Unis » : «L’enrichissement des riches ne tient ni à leur génie économique ni à leurs performances. Non, il tient avant tout à l’action de l’Etat, et ce n’est pas le moindre des paradoxes au pays de la libre-entreprise et du marché roi ».
Ce qui est bon pour l’Amérique, disait-on, est bon pour le reste du monde, et la liberté de commerce n’est plus bonne pour l’Amérique. Le candidat Donald Trump fait du protectionnisme son cheval de bataille. On se prépare à une nouvelle idéologie sur les décombres du néolibéralisme. La deuxième grande et fausse idée est le communautarisme qui est en fait la caricature de la démocratie. On saucissonne le peuple en plusieurs communautés, avec peut-être quelques leviers qui procèdent de la bonne foi, tels la discrimination positive. Le vivre-ensemble est une chimère en Amérique, et l’idée des quotas, appliquée au monde arabe (al mohassassa comme on dit au Moyen-Orient) a été un désastre. Au Maroc, on n’a pas échappé à cet air du temps par un texte fondamental qui parle des organes du corps, sur le plan culturel, que de son âme, la nation marocaine, qui doit reposer essentiellement sur la notion de destin commun, abstraction faite des ses composantes. Lire De Tocqueville est toujours d’actualité, dans un ouvrage peu connu venu en appendice à « De la démocratie en Amérique », qui porte le titre de « Quinze jours au désert»: «Au milieu de cette société si policée, si prude, si pédante de moralité et de vertu, on rencontre une insensibilité complète, une sorte d’égoïsme froid et implacable lorsqu’il s’agit des indigènes». Trump est l’expression de cette tendance lourde, feutrée bien sûr.
La troisième grande idée qui peut fâcher est que l’Amérique est une nation guerrière, comme Rome l’a été avant elle. Elle aime l’aventure et entretient une grande armée qui coûte cher. Et pour citer ce De Tocqueville des temps modernes, Michel Floquet : « L’effort de guerre ne fait pas débat. L’Amérique s’accommode de ses routes grêlées de nids de poule, de ses ponts défectueux, de son système de santé inefficace et injuste, de ses universités hors de prix. Personne ou presque ne remet en cause le coût exorbitant de l’armée ».
Dernière idée qui fera grincer des dents : l’Amérique est un Etat policier qui repose sur une société de délation. Le Big Brother a beau être doux, il n’est pas moins réel. Il trouve justification depuis le 11 septembre, tout comme le maccarthysme du temps du communisme. Cela se conçoit, mais pose deux grandes questions : tant d’intrusion dans la vie privée pour des résultats si peu probants ? Et quid de la liberté sacrifiée sur l’autel d’une hypothétique sécurité ?
Selon Floquet, « il y a quelque chose de chinois dans cette manière de ne pouvoir envisager la liberté qu’à l’intérieur d’un système. La liberté du poisson rouge, parfaitement autorisé à faire tout et n’importe quoi, à l’intérieur du bocal ». N’est-ce pas là le trait des systèmes autoritaires ? Sont libres ceux qui font partie de la nomenklatura. En dehors, point de salut. Comment peut-on parler de démocratie, alors.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane