Y a-t-il un marché de l’art au Maroc ? Personne n’est en mesure de répondre à cette question piège. Pourtant, il y a beaucoup d’argent qui circule, des opérations qui se concluent et des spéculations qui se trament. Des marketeurs, souvent mauvais dans les métiers pour lesquels ils se sont formés, se convertissent dans ce domaine ; ils deviennent marchands d’art. Après quelques passages dans des lieux supposés être artistiques, ils s’autoproclament spécialistes de l’art. Le marketing leur colle à la peau malgré tout : l’art, pour eux, ne produit plus que de la valeur marchande.
Or, le collectionneur achète l’œuvre d’art parce qu’on lui a dit qu’elle était éternelle. Qu’elle durait dans le temps et qu’elle était capable de pérenniser le nom de son propriétaire. Des œuvres d’art « durent » depuis la nuit des temps mais des personnes, des mécènes, sont elles aussi rentrées dans l’histoire : les Médicis de Florence, par exemple, dont le nom est lié à l’histoire. L’oeuvre dure car elle produit du sens, de la valeur esthétique, éthique et politique. Cette trilogie qui fonde l’action artistique n’intéresse pas le marchand d’art qui, lui, s’occupe de l’économique et rien que l’économique.
À la question « Qui fait la côte de l’artiste ? », un marketeur répond en feignant la maîtrise de son sujet : « D’abord la maison de vente, ensuite la galerie, et puis le curateur ». La question est bien sûr posée par une journaliste qui n’a aucune idée de la scène culturelle ou artistique marocaine. Elle est juste une victime idéale du discours marketing qui se déploie sans grande difficulté. Ni l’histoire de l’art, ni la critique artistique, ni la philosophie, ne sont ici mentionnées. De l’économique et de l’organisationnel, rien d’autre.
Le marchand sait pourquoi il efface toutes ces étapes. Il est intéressé par l’artiste jetable, celui qu’il crée, invente ou à la limite qu’il dépoussière, astique, le temps de le vendre comme relique des temps passés. Le marchand ne participe ni à l’émancipation de l’art, ni à l’élaboration de la culture du pays. Nous voyons de plus en plus des expositions purement commerciales qui ne s’occupent aucunement de l’intégration de l’œuvre dans la marche culturelle de l’histoire. La dimension historique importe peu au marchand. L’oeuvre d’art pourrait bien être vendue dans un « super market ».
Cette démarche fait des victimes, les premiers concernés par le marchand ; les collectionneurs. Manipulés, ils ne savent pas qu’on leur refile des œuvres jetables. Des œuvres fabriquées par le marché des marchandises. Des œuvres qui risquent de ne pas résister au temps. Ils sont victimes de la mode.
Les collectionneurs doivent savoir que, suite à leur prophète Edward Bernays, auteur du livre « Propaganda » et spécialiste de la manipulation des foules, les marketeurs les considèrent comme une masse ignorante, une pâte informe qu’ils modèlent à leurs guise. Ils vendent aujourd’hui les œuvres d’art, demain ils se convertiront dans le beurre ou les fringues. Il faut considérer leur parcours, la devise de leur métier : « Bluffer pour vendre ». Il « descend » aujourd’hui le produit dont il va vanter les mérites demain.
Ainsi va le monde de l’art aujourd’hui dans notre Maroc.
Par Moulim El Aroussi